Penser autrement : De la raison graphique à la raison computationnelle
L'invention de l'écriture a donné naissance à la rationalité moderne : la raison graphique
Goody (1977[1]) a montré que l'invention de l'écriture a modifié les schèmes de représentation de la connaissance, jusque là orale, donnant naissance à une raison graphique. Le passage de l'oral à l'écrit n'est pas simplement un changement de support, c'est une reconfiguration du système technique de production et de manipulation qui agit sur la nature même de la connaissance.
« Même si l'on ne peut pas réduire un message au moyen matériel de sa transmission, tout changement dans le système des communications a nécessairement d'importants effets sur les contenus transmis »
(Goody, 1979[2], p.46).
« L'écriture a une importance décisive, non seulement parce qu'elle conserve la parole dans le temps et dans l'espace, mais aussi parce qu'elle transforme le langage parlé : elle en extrait et abstrait les éléments constitutifs, ainsi la communication par l'œil engendre des possibilités cognitives nouvelles par rapport à celle qu'offre la communication par la voix »
(Ibid., p.221).
Le numérique est le ferment d'une nouvelle rationalité en construction : la raison computationnelle
Il y a une relation fondamentale entre les supports que nous utilisons pour penser et la pensée elle-même. Goody (1977)[1] l'a montré pour l'écrit, cette technique de synthèse spatiale de l'information est constitutive de la pensée scientifique rationnelle. Bachimont (2000[3]) montre quand à lui que le support numérique implique une nouvelle forme de synthèse, dans l'espace du calcul formel, qu'il appelle raison computationnelle.
Par conséquent, une nouvelle forme de rationalité est en émergence, nos sociétés actuelles en vivent la constitution en ce moment même, et il y a des enjeux scientifiques et pragmatiques - de savoirs et de pouvoirs, au sens de Goody (et al., 2007)[4] - à comprendre et anticiper cette nouvelle forme de rationalité.
« [...] Les anthropologues, en particulier Jack Goody, évoquent une raison graphique pour expliciter le fait que l'écriture induit un mode de pensée particulier et un rapport au monde spécifique. Nous parlerons, quant à nous, d'une raison computationnelle pour expliciter le fait que nous pensons différemment avec les outils numériques »
(Bachimont, 2007, p.71)[5]