La raison computationnelle (Bruno Bachimont)

Le numérique est le ferment d'une nouvelle rationalité en construction : la raison computationnelle

Il y a une relation fondamentale entre les supports que nous utilisons pour penser et la pensée elle-même. Goody (1977)[1] l'a montré pour l'écrit, cette technique de synthèse spatiale de l'information est constitutive de la pensée scientifique rationnelle. Bachimont (2000[2]) montre quand à lui que le support numérique implique une nouvelle forme de synthèse, dans l'espace du calcul formel, qu'il appelle raison computationnelle.

Par conséquent, une nouvelle forme de rationalité est en émergence, nos sociétés actuelles en vivent la constitution en ce moment même, et il y a des enjeux scientifiques et pragmatiques - de savoirs et de pouvoirs, au sens de Goody (et al., 2007)[3] - à comprendre et anticiper cette nouvelle forme de rationalité.

« [...] Les anthropologues, en particulier Jack Goody, évoquent une raison graphique pour expliciter le fait que l'écriture induit un mode de pensée particulier et un rapport au monde spécifique. Nous parlerons, quant à nous, d'une raison computationnelle pour expliciter le fait que nous pensons différemment avec les outils numériques » (Bachimont, 2007, p.71)[4]

Le calcul dynamique comme support de l'information

De même que l'écrit a permis le passage du temporel au spatial par projection de la parole, le support numérique apporte de nouvelles formes de représentation de l'information, basées sur le calcul : l'ordinateur ne traite que des séquences binaires qui, par des manipulations calculatoires, deviennent des signes sur un support tel que l'écran. C'est cette propriété du support numérique qui est fondamentale en tant qu'elle propose de nouvelles modalités d'inscription. Et ces nouvelles modalités induisent également la constitution de modes de représentation nouveaux, comme la raison graphique en leur temps, Bachimont (2004, p.104) donne en exemple le programme, la couche ou le réseau.

« L'hypothèse que nous formulons est que l'informatique, sous la forme des systèmes formels automatiques, fournit précisément un nouveau type de support, les supports dynamiques, auquel doit correspondre un type spécifique de synthèse, et par conséquent une rationalité spécifique, que nous proposons de baptiser « raison computationnelle ».  »(Bachimont, 2000, p.16)