La tendance technique
L'évolution technique répond à une tendance propre
Leroi-Gourhan (1945, 1973) montre que la technique possède une dynamique propre qui s'impose aux sociétés humaines, qu'il nomme tendance. Cette tendance est universelle, elle relève des lois de la physique, et tout objet technique se façonne, s'architecture, s'équilibre, en réponse à des contraintes exogènes. En interagissant avec la culture intérieure du groupe ethnique inscrit dans son milieu extérieur (situation géographique, géopolitique...), la tendance conduit à des faits techniques singularisés par les propriétés contextuelles des milieux intérieurs et extérieurs.
« La tendance qui, par sa nature universelle, est chargée de toutes les possibilités exprimables en lois générales, traverse le milieu intérieur [...], elle rencontre le milieu extérieur [...], et au point de contact entre le milieu intérieur et le milieu extérieur se matérialise cette pellicule d'objets qui constituent le mobilier des hommes. »
(Leroi-Gourhan, 1945, 1973, p.338)
Stiegler (1994) explique ainsi que la technique dispose d'un dynamisme fonctionnant selon une logique propre. L'évolution technique est alors comparable à l'évolution génétique des espèces vivantes, elle s'inscrit dans une combinatoire et une sélection autonome, et non plus dans une construction déterminée intentionnellement par l'être humain, qui se trouve relégué à un rôle d'exhumation.
« Le concept de tendance technique s'oppose à cette illusion ethnocentrique [...] il n'y a pas de génie de l'invention, ou du moins, il ne joue qu'un rôle mineur dans l'évolution technique. »
(Stiegler, 1994, p.57)
Simondon (1958) radicalise cette autonomisation de la genèse technique par les concept de processus de concrétisation et d'individuation de l'objet technique.
« Dans l'explication de l'évolution technique par le couplage de l'homme à la matière, traversée par la tendance technique, une part essentielle de celle-ci, provenant du milieu intérieur ethnique comme intention, reste anthropologiquement déterminée. Chez Simondon, ce milieu intérieur se dilue. Il n'y a plus de source anthropologique de la tendance. L'évolution technique relève pleinement de l'objet technique lui-même. L'homme n'est plus l'acteur intentionnel de cette dynamique. Il en est l'opérateur. »
(Stiegler, 1994, p.80)