Introduction : tous des Amish ?

Le 14 septembre 2020 le président de la république française annonçait « Oui, la France va prendre le tournant de la 5G parce que c'est le tournant de l'innovation. (Ruffin and Pocréaux, 2020[1]) ». Il précisait : « Et j'entends beaucoup de voix qui s'élèvent pour nous expliquer qu'il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile. Je ne crois pas au modèle amish. Et je ne crois pas que le modèle amish permette de relever les défis de l'économie contemporaine. (Reporterre, 2020[2]) ». Une technique rhétorique de type épouvantail est ici utilisée en assimilant la position de ceux qui réclament un débat sur l'innovation technique à une position qui refuserait toute innovation.

La convention citoyenne pour le climat avait pourtant proposé une évaluation et un moratoire, et non un renoncement à la 5G : « Dans une logique d'écoconception des services, nous proposons d'évaluer les avantages et les inconvénients de la 5G par rapport à la fibre avant et non après avoir accordé les licences pour son développement mais aussi d'initier/conseiller à l'utilisation de la solution la moins impactante pour l'environnement. Instaurer un moratoire sur la mise en place de la 5G en attendant les résultats de l'évaluation de la 5G sur la santé et le climat. (Convention Citoyenne pour le Climat, 2020[3]) ».

L'amish n'est pas toujours celui qu'on croit

On peut ne pas croire au modèle amish et ne pas croire non plus au modèle de la croissance exponentielle. Philippe Bihouix est ingénieur, directeur-adjoint de l'AREP, une agence d'architecture filiale de SNCF, il n'est pas Amish. Il propose pourtant de sortir de la civilisation de la voiture : « mieux vaut renoncer à sa voiture qu'aller chercher son eau au puits, et mieux vaut enfiler un pull-over que s'éclairer à la bougie. (Bihouix, 2014[4]) ». Selon lui le risque d'amishisation (le retour au puits ou à la bougie ici) n'est pas porté par ceux qui souhaitent réguler les innovations techniques, mais par ceux qui au contraire, en refusant toute marge de négociation conduisent à entériner les risques écologiques qui menacent nos sociétés modernes.

L'innovation est-elle un objet du débat démocratique ?

Je lis sur Wikipédia que les Amish statuent sur toutes les innovations techniques et que la première règle Amish est : « Tu ne te conformeras point à ce monde qui t'entoure ». Si l'on évite l'écueil de le l'argumentum ad personam (consistant ici à considérer que tout ce que font ou disent les Amish est à rejeter si on est en désaccord avec beaucoup de ce qu'ils font ou disent par ailleurs) on peut apprécier l'idée de statuer sur les innovations techniques.

Si cela conduit (comme c'est généralement le cas chez les Amish) à la refuser systématiquement ou presque, cela interroge sur l'articulation entre technologie et démocratie. Sinon (si cela conduit à rejeter ou accepter selon les termes du débat) on ne voit pas vraiment pourquoi une société démocratique s'en priverait. Or le débat technologique ne semble pourtant pas à l'ordre du jour :

  • la question identitaire est légitime (la technique fait l'homme), mais elle est aujourd'hui binarisée (acceptation de toute innovation ou refus de toute non conformation) ;

  • la question temporelle est également légitime (la technique fait le temps), mais elle est enfermée dans une logique de course (à la croissance, à la compétition).

« Nous devons ainsi retrouver une capacité à s'interroger individuellement et collectivement sur nos modes de consommation et nos besoins (cf. fast fashion, 5G, etc.). (Convention Citoyenne pour le Climat, 2020[3]) »