Juste un autre article sur les licences libres

Dans le cadre du librecours Libre Culture qui a ouvert ses portes le 6 avril 2020 (librecours.net) j'ai été amené à produire une synthèse sur les licence libres que je vous livre ici.

Le droit d'auteur et les licences libres forment un cadre général qui offre plusieurs régimes possibles pour le contenu publié sur le Web.

Je propose ici une classification en six grandes catégories :

  • contenus à péage monétaire ou publicitaire

  • contenus en accès gratuit tous droits réservés

  • contenus en libre accès quelques droits réservés

  • contenus libres et ouverts avec copyleft

  • contenus libres et ouverts sans copyleft

  • contenus "zéro restriction" (au plus près, voire au delà, du domaine public)

Contenus à péage monétaire ou publicitaire (non FLOSS, non Open Access, all rights reserved)

On appelle sites à péage (paywall) les sites mis à disposition par des organisations qui restreignent l'accès au contenu qu'elles publient. Ce sont en général des ayant droit, c'est à dire des personnes physiques ou morales qui disposent d'un accord de cession de droits patrimoniaux avec des auteurs.

L'accès au contenu est réservé aux personnes qui acceptent de verser une contre-partie. Usuellement on appelle contenus à péage ceux qui demandent une contre-partie monétaire, mais je propose également d'inclure ceux qui exposent de la publicité et donc demandent une contre-partie attentionnelle. L'accès n'est pas payé en monnaie, il est payé en temps (passé à regarder de la publicité).

On distingue donc :

  • les contenus à péage monétaire : il est nécessaire de payer pour consulter les contenus

  • les contenus à péage publicitaire : il est nécessaire de consulter de la publicité pour consulter les contenus

Le régime de ces contenus est strictement celui du droit d'auteur :

  • L'utilisateur n'a le droit que de consulter le contenu (une fois le péage acquitté).

  • Il n'est pas possible de copier le contenu (en dehors des exceptions prévues, comme le droit de citation ou l’exception pédagogique par exemple).

Exemple de sites à péage monétaire (que je consulte) :

  • site à péage monétaire : Médiapart, NextInpact

  • site à péage publicitaire : Numérama

Considérations personnelles sur les sites à péage

« La documentation secrète est une injure faite à la documentation (Briet, 1951) ». Je souhaite un monde dans lequel tous les documents sont librement accessibles, mais le fonctionnement économique de nos sociétés fait que certains éditeurs ont du mal à proposer d'autres solutions que les péages.

À titre personnel je ne consulte quasiment jamais volontairement de sites à péage publicitaire. J'utilise un bloqueur de publicité et je ne le désactive que très rarement. J'utilise un bloqueur de publicité non pas pour consulter du contenu sans payer le péage publicitaire, mais parce que la structure du Web fait que je suis régulièrement renvoyé vers de tels contenus. J'adopterais volontiers un système qui marquerait mes recherches ou mes liens de telle façon que je puisse choisir de ne pas consulter de sites à péage publicitaire.

Je suis en revanche abonné à quelques sites à péage monétaire.

Contenus en accès gratuit (non FLOSS, gratis Open Access, all rights reserved)

Tout contenu publié sur le Web (sans être associé à une licence) entre dans cette catégorie.

Il s'agit de contenus publics pour lesquels s'applique le droit d'auteur :

  • Chacun peut librement le consulter.

  • Il n'est pas autorisé de le copier sans autorisation de l'auteur ou de l'ayant droit.

Quelques exemples et contre-exemples :

  • C'est le cas de la majorité des contenus publiés par des entreprises privées sur leurs sites web.

  • C'est le cas de la majorité des contenus publiés par les individus tels que les blogs, posts de réseaux sociaux, sites personnels, etc.

  • C'est partiellement le cas des archives scientifiques ouvertes, comme HAL[1], dont certains articles sont sous licence libre et d'autres non.

  • Ce n'est la plupart de temps pas le cas des sites publics qui ont de plus en plus obligation de publier leurs données sous des licences libres.

  • Ce n'est pas le cas de Wikipédia qui propose une licence libre.

Considérations personnelles sur l'accès gratuit

Une partie significative, sinon la totalité, de nos documents numériques devraient être a minima disponibles en accès gratuit. Le coût est quasi nul et le bénéfice du partage de l'information très important pour l'humanité.

Cela devrait être le cas notamment :

  • de la totalité des contenus pédagogiques

  • de la totalité des contenus scientifiques

  • de la totalité des contenus relatifs aux lois

  • de la totalité des contenus techniques liées à l'usage des machines

  • etc.

Contenu en libre accès (non FLOSS, libre Open Access, some rights reserved)

Les mouvements Creative Commons[2] (principalement issu du domaine culturel) et Open Access[3] (principalement issu du domaine scientifique) ont permis de proposer des licences intermédiaires entre les licences libres (FLOSS[4]) et les restrictions par défaut imposées par le droit d'auteur.

Les deux principales limites d'usage introduites par les Creative Commons sont :

  • la non autorisation de l'usage commercial (non commercial)

  • la non autorisation de la modification de l'œuvre (non dérivative)

On parle aussi de licences dites some right reserved (quelques droits réservés). On note qu'il ne s'agit pas d'une interdiction, mais d'une non autorisation a priori. Il est toujours possible d'établir un autre contrat avec l'auteur ou les ayant droits en dehors des droits libérés par la licence.

Exemples :

  • Les licences Créative Commons CC BY-NC, CC BY-ND, CC BY-NC-ND et CC BY-SA-NC comportent la clause non commercial et ou non derivative.

  • La licence éé (Édition Équitable) proposée par C&F Édition autorise la copie au sein du cercle familial et amical, mais ne permet pas la rediffusion massive à des inconnus.

  • À noter que certaines initiatives explorent la notion de licences éthiques, dont l'objectif est de ne pas autoriser certains usages a priori antagonistes avec le cadre éthique des auteurs (industries polluantes, industries de l'armement, partis politiques, etc.) ou d'autoriser uniquement les usages dans des cadres prévus a priori (protection de l'environnement, humanitaire, etc.). La principale limite de ces approches est la possibilité même de définir génériquement des cadres éthiques a priori.

Considérations personnelles sur le libre accès

Le libre accès est un intermédiaire, il en a les avantages et les défauts : c'est une réponse imparfaite à une question mal posée.

On notera que l'initiative éé ou certains projets de licences éthiques sont intéressants pour tenter de concilier volonté de diffusion et tentative de préservation de son modèle économique ou de ses valeurs. Mais ce sont dans les faits plus des projets de communication que des solutions légales, il sera très difficile de les défendre en dehors de cas emblématiques.

Comment définir un cadre "commercial" sur le Web ? Que se passe-t-il si une Scop fait une formation rémunérée pour une association loi 1901 avec des contenus en NC ? Comment décider de ce qui est une modification ou pas ? Que se passe-t-il pour le transcodage d'une vidéo sous licence ND, peut-on changer le format ou la résolution ?

En fin de compte :

  • C'est plus ou moins équivalent à des licences libres pour lesquels l'auteur aurait affiché : « je libère mon contenu mais je souhaite qu'il ne soit pas utilisé pour ça et ça ».

  • C'est plus ou moins équivalent à des licences non libres pour lesquels l'auteur aurait affiché : « je ne libère pas mon contenu mais si vous êtes dans ce cadre, je suis content que vous l'utilisiez et je ne vous embêterai pas ».

Contenus libres avec copyleft (FLOSS, Open Access, copyleft)

Le mouvement libriste est né avec la licence libre copyleft. Cette licence promue par la Free Software Foundation[5] pose les quatre règles fondatrices du logiciel libre (exécuter, étudier, copier, améliorer) dans la mesure où ces règles restent préservées. Il n'est typiquement pas autorisé de procéder à une redistribution qui n'autorise pas elle-même la copie selon les mêmes termes.

Le terme copyleft est un double jeu de mot, dérivation de copyright, droit d'auteur, en "gauche d'auteur" et en "laisser copier".

  • La licence historique de ce mouvement est la licence GPL, largement utilisée dans le monde du logiciel libre.

  • Pour les contenus culturels on peut citer la licence CC BY-SA, pour share-alike ou la Licence Art Libre (LAL).

À noter qu'un logiciel ou contenu libre n'est pas nécessairement gratuit, même si la possibilité de le copier tend en général à des formes de distribution gratuite. On peut avoir à payer un support pour se procurer un livre imprimé par exemple, ou un service, pour bénéficier de l'hébergement d'un service web. La liberté de copier n'est pas en cause, vous pouvez ré-imprimer le livre ou héberger le service par vos propres moyens.

Considérations personnelles sur le copyleft

Il s'agit de la licence que j'utilise le plus couramment, mes cours sont sous CC BY-SA, mon premier roman sous LAL et les quelques petits bouts de code que j'écris sous GPL.

Il y a un débat historique entre les licences avec ou sans copyleft. Une terminologie s'est mise en place pour distinguer les logiciels « libres », qui seraient ceux avec copyleft, des logiciels « open source », qui seraient sans copyleft. Cette terminologie est née du fait que les premiers sont promus par la FSF et les seconds par l'OSI (Open Source Initiative). Mais c'est une terminologie discutable, car :

  • avec ou sans copyleft les logiciels sont bien open source,

  • la notion de liberté est ici et ailleurs toujours compliquée à cerner.

Certains argumenteront qu'un logiciel sans copyleft impose moins de restrictions et donc est plus libre ; d'autres que donner la liberté de priver de liberté c'est contraire à la liberté. C'est un débat intense au sein des communautés, je me contente ici de donner mon point de vue.

  • Je considère a priori que moins de règles, c'est mieux, donc j'aurais tendance à préférer en première approche une licence sans copyleft, mais il y a un rapport de force en place qui est problématique. Des acteurs puissants (éditeurs de logiciels et éditeurs de contenus culturels) ont la possibilité de se rapproprier les contributions libres et d'en faire bénéficier leur économie, dont acte. Mais s'ils ont la possibilité en plus d'améliorer ces contributions sans en reverser les améliorations, cela signifie qu'ils peuvent systématiquement prendre des objets libres, les améliorer et les distribuer sans licence libre. Cela aura comme conséquence d'affaiblir les solutions libres et de renforcer les solutions non libres, ce qui est l'exact contraire de l'objectif visé initialement.

    Encore une fois c'est un débat complexe et les opposants au copyleft feront également valoir des arguments intéressants comme le fait que ces éditeurs gardent un intérêt à repartager pour continuer de bénéficier des améliorations apportées par les communautés libristes ou par d'autres éditeurs.

  • Je fais le parallèle avec la notion de discrimination positive, c'est n'est pas un choix de conviction, c'est un choix pragmatique, qui va plutôt à l'encontre de l'idée de base (liberté d'usage ou égalité de traitement) mais qui, dans un rapport de force défavorable, paraît nécessaire à l'établissement de la liberté ou l'égalité visées.

  • On a coutume de dire que le terme logiciel libre est mal choisi : ce n'est pas le logiciel qui est libre, mais l'humain qui l'utilise. On peut considérer que le copyleft donne moins de liberté à l'humain, mais plus à l'humanité.

Contenus libres sans copyleft (FLOSS, Open Access, non copyleft)

Les licences libres sans copyleft autorisent tous les usages a priori à condition que l'auteur, ainsi en général que la source et la licence, soit mentionnés. Cela autorise donc en particulier l'intégration d'un code logiciel dans un logiciel propriétaire ou un contenu culturel dans un ouvrage non libre.

  • Les licences MIT ou BSD sont des exemples de licences sans copyleft pour les logiciels libres.

  • La licence CC BY est la licence sans copyleft la plus commune pour les contenus culturels.

Considérations personnelles sur les licences sans copyleft

Je considère les licences sans copyleft lorsque j'évalue que :

  1. le copyleft peut bloquer ou ralentir des usages que je n'ai pas envie d'empêcher ;

  2. le contenu n'est pas facilement améliorable de toutes façons.

Par exemple la vidéo d'une conférence ou d'un cours sera selon moi plus facilement diffusable sous CC BY parce que je n'imagine pas en quoi il est vraiment possible d'améliorer la vidéo. On peut imaginer une coupe d'un segment non pertinent, ou l'incrustation d'éléments complémentaire intéressants, mais on est dans des pratiques très marginales.

Contenus "zéro restriction" (ou Do What The Fuck You Want To)

Certaines licences comme la licence Creative Commons Zero (CC0) consistent pour l'auteur à autoriser les usages les plus larges possibles dans la limite de la loi. Cela équivaut à mettre volontairement son œuvre dans le domaine public.

La loi empêche dans certains pays, dont la France, de lever toute restriction sur le contenu. Ainsi le droit moral est inaliénable, il n'est donc pas légalement possible d'y renoncer et d'autoriser quelqu'un à utiliser son contenu sans a minima être cité en tant qu'auteur. Le domaine public français consiste en l'épuisement des droits patrimoniaux uniquement, on ne peut donc pas chanter « Poètes vos papiers » en public sans dire que le texte est de Léo Ferré.

Techniquement cela revient à dire que des licences comme la CC BY sont les licences les plus permissives possibles en France et donc que des licences comme la licence CC-0 sont équivalentes. Notons que c'est vrai pour le moment, mais qu'une évolution future du droit d'auteur vers plus de liberté d'usage (ce qui n'est pas la tendance historique) pourrait permettre aux licences zéro restriction d'ouvrir de nouveau droits.

On notera l'existence de licences "zéro restriction" plus poétiques que la CC0 :

  • La Copyheart dont le résumé est : Copying is an act of love, please copy.

  • La Do What The Fuck You Want To Public License, dont la seule clause, numérotée 0 est : « You just DO WHAT THE FUCK YOU WANT TO ».

Considérations personnelles sur les licences "zéro restriction"

Ces licences n'ayant pas de valeur légale aujourd'hui différente des licences sans copyleft, leur usage relève avant tout d'un militantisme visant une réforme radicale du droit d'auteur (qu'à titre personnel je partage considérant que le droit d'auteur fait de fait plus de mal que de bien, rémunérant trop mal les auteurs, trop bien les éditeurs, entraînant des restrictions d'accès néfastes pour l'accès aux savoirs, et conduisant à une répression inadaptée).

Néanmoins je ne les utilise pas car elles informent moins bien sur les devoirs de l'utilisateur : en particulier un utilisateur peu averti pourra croire qu'il est effectivement autorisé à faire ce qu'il a envie de faire, ce qui n'est pas vrai.

Mais la plupart du temps, je suis plutôt d'accord : just do what the fuck you want to !

Précision : la loi avant le contrat

Les licences sont des contrats passés dans le cadre juridique du droit d'auteur. La loi étant supérieure aux contrats, les licences libres restent soumises au régime du droit d'auteur. On notera l'adresse de leur promoteurs qui ont réussi malgré tout à rendre possible une prise de distance d'avec les restrictions imposées par le droit d'auteur, pour ceux qui le souhaitent.

Conclusion : pour interdire il faut une bonne raison et une certaine détermination

Je ne suis pas contre toutes les interdictions en principe, mais je pense que pour interdire quelque chose, il faut une bonne raison et une volonté de faire appliquer l'interdiction. Si vous dites à quelqu'un : ne fais pas ça, alors que vous n'avez pas vraiment d'argument pour interdire et qu'en plus vous ne prenez aucune mesure s'il transgresse votre interdiction... la plupart du temps l'autorisation aurait été plus simple. Le fait pour un créateur de ne pas associer de licence à son contenu équivaut à maintenir les interdictions prévues par le droit d'auteur. Le fait de choisir une licence restrictive équivaut également à interdire quelque chose.

Les licences sont des outils légaux, donc pour choisir une licence avec des restrictions, il faudrait être prêt à poursuivre en justice celui qui ne les respectent pas. C'est possible, et les associations de promotions des logiciels libres peuvent aider à cela. Mais il faut être prêt à le faire.

Si on n'est pas prêt à le faire, il faut au moins être prêt à dénoncer publiquement l'irrespectueux qui outrepassera les interdictions. C'est également possible. Mais il faut être prêt à le faire.

Si l'on n'est prêt ni pour l'un, ni pour l'autre, le choix du cadre le plus permissif est certainement le plus adapté.

Complément

Merci à Pouhiou de ses retours qui m'ont permis de compléter la fin de l'article.