Le problème du capitalisme de surveillance n'est pas la surveillance
À partir de Affaires privées : aux sources du capitalisme de surveillance, Christophe Masutti, C&F éditions, 2020.
La surveillance n'est pas un problème en soi
Il est nécessaire de mesurer et surveiller pour administrer un collectif.
Au niveau théorique, l'informatique implique le contrôle de l'information (Claude Shannon, Norbert Wiener) et le contrôle implique la surveillance.
Au niveau pratique il est nécessaire de surveiller ses infrastructures informatiques pour assurer leur bon fonctionnement technique et social.
Framasoft surveille ses machines et ses utilisateurs
Une association qui promeut les libertés numériques comme Framasoft surveille ses machines et ses utilisateurs.
La connaissance de la façon dont les machines sont utilisées est nécessaire au fonctionnement des services que l'association propose.
La modération des contenus produits par les utilisateurs est également nécessaire, pour respecter la loi (ex : suppression des contenus illégaux) ou maintenir le vivre ensemble (ex : exclusion des pratiques qui ne respectent pas les CGU, Conditions Générales d'Utilisation).
Mais Framasoft collecte le minimum de données nécessaires à la réalisation de ces tâches d'administration, tandis que le capitalisme de surveillance tend à en collecter le maximum.
Le problème du capitalisme de surveillance n'est pas la surveillance c'est le capitalisme appliqué à la surveillance
Le problème c'est donc le capitalisme appliqué à la surveillance, c'est à dire que le fait de donner de la valeur aux données conduit à capitaliser sur ces données indépendamment du service rendu, puis à maximiser cette capitalisation.
Conséquence de l'addition « surveillance + capitalisme »
Les données ne sont plus collectées pour rendre les services, mais pour elles-mêmes.
Cela conduit à multiplier le volume des données collectées jusqu'à changer d'échelle.
Cela conduit à multiplier la diversité des données collectés et à adresser des champs qui échapperaient totalement au champ de la surveillance normale des services.
Cela conduit à croiser les données pour générer de nouvelles données, dont la valeur financière est alors appréciée.
Cela conduit in fine à passer d'une approche minimale de la collecte de données à une maximisation de la collecte destinée à maximiser le capital qui lui est à présent associé.
Le changement de degré de la collecte des données conduit à un changement de nature de la surveillance.
Exemples
Il devient possible d'automatiser la surveillance commerciale et la publicité remplace les échanges entre utilisateurs et fournisseurs de services (Google, Facebook).
Il devient possible d'automatiser la surveillance d'état et donc de la généraliser (PRISM).
Il devient possible d'influencer à une échelle massive à des fins de captation de l'attention (moteur de recherches centrés sur l'utilisateur, fils d'information dynamiques et infinis, création de contenus culturels guidés par les données...).
Il devient possible d'influencer à une échelle massive à des fins de manipulation d'opinion (Cambridge Analytica).
Critique du consentement (RGPD et Shoshana Zuboff)
Christophe Masutti formule une critique à l'égard de ceux ou celles qui, comme Shoshana Zuboff, réclament un encadrement de la collecte des données. Le RGPD est typiquement une invitation au consentement de la collecte.
Si l'une et l'autre contribuent à la mise au jour du problème en invitant à la réflexion sur les données, ils risquent également d'offrir une fausse solution à ce problème.
Car le problème n'est pas tant d'encadrer les pratiques de surveillance en soi que d'encadrer les pratiques capitalistiques qui rendent possible la collecte massive de données.
La suppression de toute publicité de l'univers numérique réduirait instantanément la valeur des données et effacerait automatiquement l'essentiel des pratiques de collecte de données (et donc le besoin de leur encadrement).