Notion de littératie numérique

Définir la littératie numérique

Littératie numérique

La littératie numérique est l'ensemble des connaissances et compétences nécessaires pour mobiliser le numérique en tant que technique de codage et de manipulation de l'information avec des ordinateurs au sein de réseaux.

Définir la littératie

« Ensemble des activités humaines qui impliquent l'usage de l'écriture, en réception et en production. Elle met un ensemble de compétences de base, linguistiques et graphiques, au service de pratiques, qu'elles soient techniques, cognitives, sociales ou culturelles (Jaffré, 2004[1]). »

« Littératie, anglicisme de literacy, comme antonyme d'illettrisme, signifie, au-delà de l'alphabétisme, la capacité de mobiliser l'écriture pour accomplir ses objectifs (Crozat et al. 2012[2]) »

« Ensemble des connaissances en lecture et en écriture permettant à une personne d'être fonctionnelle en société (GDT) ».

« Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la littératie est « l'aptitude à comprendre et à utiliser l'information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d'atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités » (dans le rapport publié le 14 juin 2000 : La littératie à l'ère de l'information). (Wikipédia) »

Le concept de littératie est donc plus large que l'alphabétisme qui est uniquement la capacité à lire et écrire, nécessaire mais non suffisante à la littératie (cette distinction n'est pas pertinente en anglais où le terme désigne les deux niveaux, mais est généralement compris au sens le plus large). Il permet donc de ne pas envisager l'écriture uniquement comme une technique d'inscription ou comme un simple canal de communication (Reuter, 2006), mais bien comme un rapport au monde, voire une condition d'accès au monde, lui-même produit, notamment, par l'écriture.

Littératie et création

« Entrer dans l'écrit signifie donc, au niveau sociétal comme au niveau ontogénétique, entrer dans un autre univers, dans une culture de l'écrit qui modifie, ou du moins est susceptible de modifier [...], le rapport à la parole et à la langue, voire au monde. (Reuter, 2006) »

La littératie est donc un ensemble qui nécessite la maîtrise technique de l'écriture et de la lecture et la connaissance des codes de communication, mais ne s'y limite pas. Elle s'articule également autour de connaissances plus fondamentales qui permettent non seulement de s'inscrire dans une culture et une tradition, mais de participer à la créer, à l'inventer. La littératie est une nécessité et un enjeu (Reuter, 2006) - un enjeu de savoirs et de pouvoirs (Goody et al., 2007) - dont l'alternative est la prolétarisation, au sens de Stiegler (2006), c'est à dire la perte de capacité à agir sur le monde.

« L'inquiétude face à l'échec scolaire est ainsi le reflet des nouvelles exigences d'un monde qui, depuis que l'électronique et le numérique ont remplacé le mécanique [...], depuis que nous assistons à un renouvellement fabuleusement rapide des connaissances, requiert la maîtrise de modèles abstraits, dégagés de l'empirisme quotidien et du tâtonnement mimétique. À tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle et sociale, celui qui n'a pas bénéficié d'une solide formation initiale risque d'être vite dépassé et d'agir en aveugle face à un univers dont il ne comprend pas les rouages. (Chupin, 2013, p.8, préface de P. Meirieu) »

Définir le numérique

Dans le contexte du numérique, une hypothèse que nous formulons est qu'il est nécessaire notamment d'acquérir une connaissance des principes technologiques qui régissent le monde numérique. On peut définir le numérique selon les quatre couches suivantes :

  • C'est une représentation de l'information sous forme de chiffres, qui procède donc par construction d'une discrétisation et d'une manipulation (Bachimont). L'idée d'une codification systématique du monde sous forme de symboles remonte au XVIIIème siècle (Leibniz) et s'ancre au début du XXème (Gödel).

  • C'est une représentation qui permet de représenter ses propres manipulations. Alors que le métier à tisser est une machine automatique dont le programme est extérieur, un ordinateur est une machine de Turing universelle, c'est à dire une machine permettant de représenter n'importe quel traitement automatique (le programme est une donnée, donc il est calculable lui même, la machine peut faire évoluer son propre programme).

  • C'est une technologie particulière de représentation, qui s'appuie aujourd'hui essentiellement sur le binaire et l'architecture de Von Neumann.

  • C'est une technologie de communication en réseau de représentations, qui s'appuie sur une architecture de machines, de standards, de protocoles (TCP/IP...).

Problématique : Enseigner la littératie numérique

La problématique de l'enseignement de la littératie numérique est la maîtrise d'un milieu technologique, donc culturel et technique, émergeant, voire continuellement changeant.

On peut mettre en exergue trois spécificités de la littératie numérique qui rendent son enseignement problématique.

  1. La littératie numérique appelle de nouvelles pratiques de lecture et d'écriture, inhérentes à la transformation du support ; et donc écrire et lire correctement avec un ordinateur implique de maîtriser des outils aux fonctions multiples et changeantes. On pourrait considérer ce problème comme le plus facile à adresser, avec des formations procédurales aux outils.

    Mais, l'évolution technique est importante et rapide et les compétences orientées outils sont vite rendues obsolètes, il faut les réactualiser régulièrement (ce qui est compliqué par une approche ancrée dans les outils).

  2. Le numérique ne s'inscrit pas dans une tradition établie qui permet d'établir des codes a priori, valables a posteriori ; ces codes sont encore en invention et en constitution. On est donc dans un état de « littératie restreinte », au sens de Goody, c'est à dire de maîtrise partielle et imparfaite de cette nouvelle écriture (Goody et al., 2007).

    On pourrait se demander par ailleurs, mais c'est une hypothèse qu'il n'est pas nécessaire de trancher pour le moment, si le numérique n'est pas intrinsèquement un vecteur de constante évolution, qui impliquerait une difficulté, voire une impossibilité, de stabiliser des codes, qui conduirait à une sorte d'état de littératie restreinte permanent.

  3. L'écriture numérique implique un rapport au monde élargi par rapport à l'écriture graphique, en ce sens qu'il y a un passage du texte écrit à l'objet numérique. L'écrit numérique peut agir directement sur le monde physique. C'est le propre de toute technologie que d'être à la fois technologie pour la pensée et technologie de l'action, mais le texte et le marteau renvoient à des catégories encore assez distinctes, là où l'ordinateur opère une fusion complète (même si l'on trouve encore beaucoup de logiciels eux-mêmes spécialisés, la frontière s’amincit progressivement).

    L'universalité de l'ordinateur est contenu dans le principe technique même de la machine de Turing universelle, l'ordinateur manipule des signes avec des signes, il peut donc adresser son propre programme. L'évolution des interfaces d'entrée-sortie fait le reste. L'écriture numérique produit donc des objets numériques qui permettent d'écrire. Le numérique est un milieu à part entière (dont les lois sont en prise avec des caractéristiques techniques propres).

Composantes d'un enseignement de la littératie numérique

Comment enseigner la littératie dans un tel contexte ? L'enjeu nous semble, plutôt que de former à des outils et codes éphémères et discutables, de se doter de moyens pour s'adapter à des codes nouveaux et multiples d'une part ; et de participer à établir ses propres codes d'autre part.

Nous envisageons donc de ne pas s'attarder - voire de ne pas adresser du tout - l'apprentissage de savoir-faire procéduraux qu'ils soient techniques (outils) ou communicationnels (bonnes pratiques). On les mobilisera uniquement à titre d'exemple et illustrations d'une réalité présente.

Nous proposons plutôt de travailler sur un enseignement plus fondamental, fondé sur des « modèles abstraits », qui donne accès à l'« univers » du numérique et permet d'en comprendre les « rouages », au sens proposé par P. Meirieu (Chupin, 2013). Nous proposons ensuite de développer une démarche réflexive, c'est à dire une méthode permettant de décider de sa façon d'être au monde numérique.

Cette base fondamentale sera néanmoins possible à coupler avec des formations plus locales, qu'elles concernent le bon usage de réseaux sociaux, l'ouverture à l'autopublication, ou l'intégration de procédures et d'outils en entreprise.

Le double couplage technique/culturel et théorique/pratique

L’apprentissage de la littératie numérique relève d'un couplage entre apprentissage technique et apprentissage culturel d'une part et apprentissage théorique et apprentissage pratique d'autre part.

Composantes techno-logiques d'un apprentissage de la littératie numérique

Théorique

Pratique

Technique

Informatique théorique (algorithmique, modélisation...)

Programmation (développement, administration...)

Culturel

SH de la technique (histoire, philosophie, anthropologie...)

Usages des outils (bonnes pratiques, détournement, études...)

De la nécessité du couplage technique/culturel

Un enseignement qui resterait campé sur une posture exclusivement technique ou culturelle formerait des acteurs potentiellement utiles économiquement (développeur, formateur, animateur...) mais qui resteraient asservis à d'autres individus.

Ils peineraient à exercer leur pleine citoyenneté en milieu numérique.

De la nécessité du couplage théorique/pratique

Le numérique comme technologie ne peut s'appréhender pleinement que par une pratique à la fois théorique ("la tête") et pratique ("les mains").

Une réalisation informatique par exemple n'existe que par son implémentation en machine, l'objet théorique pensé, posé sur le papier, sera nécessairement transformé par cette épreuve de la matérialité numérique. À l'inverse une pratique sans éclairage conceptuel ne permet pas de penser des situations et problèmes nouveaux, or le numérique fait émerger de nouvelles problématiques à échéances régulières (informatique personnelle, internet, mobilité, blockchain, intelligence artificielle...).

La même dualité existe au niveau culturel, une approche purement théorique ne résiste pas à l'épreuve des pratiques, et un confinement aux usages connus ne suffit pas à penser ce qui advient de nouveau. En ingénierie l'analyse des "besoins" est typiquement une méthode tout à fait insuffisante pour coupler conception et usage.