Apprentissage en autonomie : description, critiques, propositions

Préambule

Cet article propose d'étudier le principe de l'apprentissage en autonomie, défini comme intermédiaire entre l'enseignement classique, celui qui est majoritairement dispensé dans l'enseignement supérieur, et l'autodidaxie, qui se développe en tant que stratégie de compensation lorsque le premier est absent.

À propos du contexte (l'enseignement supérieur)

Ces réflexions sont essentiellement menées dans le cadre de l'enseignement supérieur et notamment de mon expérience à l'UTC. Pour autant nous pensons qu'elles n'y sont pas spécifiques et peuvent être considérées pour des contextes beaucoup plus divers (ce travail d'élargissement et de confrontation à d'autres contextes restant à faire).

Le terme école que nous utiliserons dans cet article renvoie donc à une école d’ingénieur comme l'UTC, mais plus largement à une université ou tout autre établissement d'enseignement supérieur, voire d'enseignement secondaire.

Nous proposons dans la dernière section une liste de situations propices à la mise en place de l'apprentissage en autonomie. Ces situations sont particulièrement adéquates dans le contexte de l'UTC, mais une fois encore, les transpositions seraient aisées pour d'autres contextes.

Définition de l'apprentissage en autonomie

Entre enseignement classique et autodidaxie

Un apprentissage en autonomie est un mode de formation dans lequel des ressources (au sens large, humaines et matérielles) sont mises à disposition de l'apprenant, qui doit s'organiser lui même pour les mobiliser (supports textuels et audiovisuels de cours et d'exercices, espaces numériques et physiques d'interaction avec l'enseignant et entre les apprenants...).

Il y a donc un transfert de responsabilité - d'où le terme d'autonomisation - depuis l'enseignant vers l'apprenant, dans l'organisation de la formation. La seule obligation incontournable de l'apprenant est la réussite aux épreuves servant à accréditer la formation.

On peut positionner l'apprentissage en autonomie comme un intermédiaire entre l'enseignement classique et l'autodidaxie.

L'enseignement classique est ici défini comme la combinaison de :

  1. la prescription du parcours de formation ;

  2. l'organisation du déroulement de ce parcours ;

  3. la certification du bon suivi de ce parcours.

Dans le cadre de l'apprentissage en autonomie le second point relatif à l'organisation est relâché.

Dans le cadre de l'autodidaxie, ce sont les trois points qui sont relâchés.

Typologie des formations : enseignement classique, apprentissage en autonomie, autodidaxie.

On distinguera trois grandes catégories de formation, en étant conscient qu'il n'y a pas de solution de continuité, qu'il serait possible de les sous-classifier et qu'il serait possible d'adopter d'autres terminologies.

  • L'enseignement classique se compose à la fois d'une prescription, d'une organisation et d'une certification.

  • L'apprentissage en autonomie se compose d'une prescription et d'une certification, mais pas d'une organisation (ou une organisation réduite, partielle). C'est une situation d'auto-organisation. L'enseignant propose un suivi réactif à l'apprenant (plutôt que proactif).

  • L'autodidaxie ne se compose ni de prescription, ni d'organisation et ni de certification ; ce n'est donc pas une formation au sens où nous l'avons définie. C'est une situation d'auto-prescription et d'auto-organisation. Rappelons qu'il ne peut exister de certification sans prescription, la première impliquant la seconde.

Ressources typiques de l'apprentissage en autonomie

Au sein d'un apprentissage en autonomie, les étudiants disposent typiquement des ressources suivantes :

  • modules d'auto-formation (cours rédigés et exercices corrigés)

  • exposés audiovisuels (cours magistraux)

  • séances non tutorées pour travailler seuls ou à plusieurs au sein d'un centre ressource

  • séances tutorées avec la présence d'un enseignant pour poser des questions

  • séances de cours classique sur des points spécifiques (optionnelles, sur inscription)

  • devoirs à rendre (optionnels, corrigés, non notés)

  • support asynchrone à distance sous la forme d'un forum animé par un enseignant

  • ...

Apprentissage en autonomie et numérique

L'apprentissage en autonomie n'est pas né avec le numérique. Le CNED par exemple organise des formations par correspondance depuis la seconde guerre mondiale. Les formations en autonomie et à distance antérieures au numérique se basent toutes sur un principe similaire :

  • l'organisme envoie des fascicules de cours et des exercices par la poste ;

  • l'apprenant envoie ses exercices une fois effectués, et éventuellement des questions, par la poste ;

  • l'organisme envoie des corrigés et de nouveaux cours, et ainsi de suite.

Bien entendu ces dispositifs ont été complétés petit à petit par l'usage du fax, du téléphone...

Mais l'avènement du numérique marque une rupture importante en terme de coût et d'organisation. La mise en place de tels dispositifs exigeait des moyens importants (reprographie) et une organisation assez complexe (gestion et redistribution du courrier). La communication par mail, forum et chat d'une part, et la mise à disposition de supports via le Web d'autre part, rendent les échanges et la mise à disposition des contenus plus fluides et permettent de généraliser la pratique.

Objectifs de l'apprentissage en autonomie

Une école plus ouverte

Les trois objectifs de l'apprentissage en autonomie sont :

  1. pédagogique : s'adapter aux apprenants qui recherchent l'autonomie dans leurs modes d'apprentissage et/ou développer ces habitudes (apprendre à apprendre) ;

  2. organisationnel : s'adapter aux contraintes endogènes de l'école, en particulier dans un contexte de diminution des moyens matériels ;

  3. institutionnel : s'adapter aux contraintes exogènes de la société, en particulier pour accueillir à l'école des apprenants "à temps partiel".

Objectif pédagogique de l'apprentissage en autonomie : au-delà des cours

Le premier objectif de l’apprentissage en autonomie est d'ordre pédagogique, il vise à répondre à une partie de la population apprenante qui recherche l'autonomie dans ses modes d'apprentissages (et à renforcer cette posture).

Certains étudiants ne participent que peu ou pas aux activités proposées dans les modes classiques (cours, travaux dirigés ou pratiques...). Il est contre-productif de maintenir les modes classiques d'apprentissage :

  • les mécanismes de contrôle de présence sont inefficients pour des étudiants suffisamment matures (culpabilisation, perte de temps...) ;

  • l'offre pédagogique est décalée par rapport aux besoins (les séances de cours sont organisées en fonction d'un nombre d'étudiants inscrits et non de ceux effectivement présents, entraînant une sous-optimisation des moyens) ;

Si l'on accepte l'efficacité d'un apprentissage en autonomie pour une partie des apprenants, il est raisonnable d'organiser cet apprentissage en conséquence, plutôt que de chercher à les maintenir dans un dispositif sous-optimal.

Par ailleurs, il est souhaitable de développer chez les apprenants le goût et la capacité de l'apprentissage en autonomie, en particulier pour anticiper des contextes - professionnels typiquement - qui nécessiteront ces modalités.

Objectif organisationnel de l'apprentissage en autonomie : au-delà des emplois du temps

Le second objectif de l'apprentissage en autonomie est organisationnel. Il vise à donner une flexibilité complémentaire à l'organisation de l'apprentissage, a fortiori dans un contexte de réduction des moyens. Globalement, en diminuant la part de séances programmées en présentiel[1], les modes d'organisation peuvent être plus facilement modulés, par exemple :

  • ajouter de la flexibilité pour les étudiants (compatibilité d'emploi du temps, semestres décalés, formation à distance pendant les stages, formation complémentaire pendant les inter-semestres...), l'apprentissage en autonomie est alors une alternative à l'autodidaxie, i.e. les étudiants apprennent ("rattrapent") seuls ("sur le tas"), ce qui leur manque comme pré-requis pour un autre enseignement, pour un stage...

  • palier le déficit d'enseignants dans certains enseignements (chronique et ponctuellement critique), l'apprentissage en autonomie est alors une alternative à la désinscription ;

  • aider à mutualiser des enseignements identiques existants au sein de parcours différents (alternance, masters...), l'apprentissage en autonomie est une alternative à la duplication des enseignements

  • réduire les coûts du présentiel (que ce soit pour réduire effectivement les dépenses ou pour les transférer sur d'autres postes pédagogiques), l'apprentissage en autonomie est dans ce cas une dégradation assumée et organisée des conditions d'enseignement, plutôt que subie.

Ces exemples montrent que l'apprentissage en autonomie est une modalité facilitatrice de la prise en compte des contraintes endogènes de l'organisation. Il permet un ajustement de l'organisation - jusqu'à un certain point - sans remise en cause profonde.

Objectif institutionnel de l'apprentissage en autonomie : au-delà des crédits

Un troisième objectif de l'apprentissage en autonomie, est relatif à sa posture institutionnelle. Il vise à ouvrir l'école à la formation des citoyens au sens large, étudiants inscrits en cycle long ou simplement de passage. L'école est déjà de fait protéiforme, elle offre de nombreuses modalités de parcours au sein de ses enseignements, et cette tendance est croissante.

Les deux déclinaisons principales que nous relevons ici, particulièrement concernées par les pratiques d'apprentissage autonome sont la formation professionnelle continue et la formation citoyenne.

  • La formation continue consiste pour l'école à proposer une offre de formation accessible en parallèle une activité professionnelle (évolution, reconversion...).

  • La formation citoyenne consiste pour l'école à proposer une offre de formation accessible aux citoyens désireux d'améliorer leur culture personnelle, sans nécessairement avoir de projet utilitaire de cette formation.

Dans ces deux cas exemplaires, l'apprentissage en autonomie est une modalité facilitatrice de la prise en compte des contraintes et injonctions exogènes (disponibilité professionnelle et personnelle d'apprenants suivant une formation en parallèle d'autres activités) ; la prise en compte de ces contraintes pouvant être une condition de développement - voire de survie - de l'institution.

Vers plus d'ouverture

Ces trois objectifs convergent vers une école plus ouverte, l'ouverture étant pris ici dans un triple sens :

  • Une telle école est ouverte pédagogiquement, en acceptant la modulation des moyens d'enseignement, sans moduler ses exigences de résultat.

  • Un telle école est plus ouverte au sens propre, elle offre un espace-temps élargi pour apprendre.

  • Une telle école est plus ouverte dans son rôle socio-économique, elle permet l'apprentissage en sus des contextes spécifiquement prévus de la diplômation[2].

Critique pédagogique de l'apprentissage en autonomie

La hausse potentielle de l'échec

Un apprentissage en autonomie exige des conditions particulières pour pouvoir être mené avec succès par un apprenant :

  • un "profil cognitif" d'apprentissage spécifique ;

  • une forte motivation (supérieure à celle nécessaire dans un cadre classique, doté d'outils de maintien de la motivation plus marquée : échéances, obligation de présence, effets de groupe...) ;

  • une capacité d'organisation personnelle (s’astreindre à des séances de travail, un planning...).

En conséquence, l'accroissement de l'apprentissage en autonomie, au delà de la part de population apprenante qui répond à ces trois exigences, entraîne mécaniquement une augmentation de l'échec.

La bonne solution générale consiste donc à proposer un dispositif classique et un dispositif en autonomie en parallèle, en limitant l'apprentissage en autonomie à cette part de la population. À défaut, il faudra justifier l'acceptation de l'échec par :

  • des considérations économiques ;

  • le fait que ce serait pire sinon (en autodidaxie par exemple) ;

  • la nécessité pour l'apprenant de travailler sur l'autonomie elle-même.

On notera également qu'il est possible d'augmenter la part de la population autonome, en jouant sur les caractéristiques de cette population (en la formant à l'apprentissage en autonomie), ou en jouant sur les caractéristiques de la formation (et notamment sur le degré d'autonomie nécessaire).

Remarque

Un apprentissage en autonomie est toujours inférieur ou égal à un enseignement classique lorsqu'il est dispensé en parallèle, puisqu'il propose moins de moyens pour atteindre le même objectif (les étudiants suivant le cours classique pouvant également utiliser les ressources du dispositif en autonomie, ils ont toujours des moyens supérieurs).

On ignore ici les effets induits (comme le fait d'apprendre à apprendre) et la suppression d'effets négatifs (cas d'apprenants autonomes obligés d'assister à des séances pour eux contre-performantes).

Seuils de neutralité pédagogique et de contre-performance pédagogique

On fera l'hypothèse qu'il existe un seuil de neutralité pédagogique P1 en deçà duquel le dispositif est sans perte, le taux de réussite est inchangé (seuls des apprenants autonomes participent au dispositif en autonomie).

Il existe également un seuil P2 au delà duquel l'apprentissage en autonomie devient contre-performant : l'énergie perdue à former des apprenants "pour rien" ne compense plus les avantages organisationnels. En concentrant plus de moyens sur moins d'élèves (réduction de la part de population en autonomie), le résultat global serait meilleur (nombre de réussites en valeur absolue supérieur).

Analyse du rapport entre taux d'apprentissage en autonomie et taux de réussite

P<P1 : Dispositifs en parallèle modestes, sans pertes

Si la part de population apprenante en autonomie est inférieure à P1, un dispositif mixte est idéalement sans augmentation du taux d'échec. Cela signifie qu'il y a un gain organisationnel sans perte au niveau pédagogique qui peut systématiquement être convoqué par la mise en place de solutions parallèles, que l'on pourra qualifier de modestes.

En revanche, si P1 est trop faible, la solution peut engendrer un surcoût économique (le développement des supports d'apprentissage n'est pas rentabilisé par le nombre d'élèves).

P1<P<P2 : Dispositifs en parallèle élargi, alternatives à l'autodidaxie

Au delà de P1 le dispositif en autonomie peut être justifié - bien qu'il soit moins efficace pédagogiquement qu'un dispositif classique puisqu'il génère plus d'échec - à condition de le comparer à une alternative encore moins efficace (l'autodidaxie, voire l'absence de formation) ou pour rentabiliser économiquement le dispositif (si le nombre d'étudiants concernés est insuffisant au seuil P1).

P>P2 : Dispositifs majoritairement ou uniquement proposés en autonomie, l'autonomie pour l'autonomie

Cela concerne en particulier les cas de remplacement systématique d'un enseignement classique par un apprentissage en autonomie, comme par exemple dans le projet des Mooc. Ces approches ne se justifient que si elles visent aussi à former les apprenants à l'apprentissage en autonomie (et assume donc l'échec induit) ; ou si elle ne concerne que des étudiants très autonomes (situation comportant des seuils P1 et P2 très élevés a priori).

On peut donc considérer que dans ce cas, on passe de logique de gain organisationnel dans la continuité de l'approche classique (mêmes apprenants, mêmes enseignants, même objectifs...), à une remise en cause fondamentale de l'organisation (changement de public, de pédagogie...).

De la valeur des seuils neutralité et de contre-performance

La position de P1 et P2 (c'est à dire la part de population apprenant pouvant apprendre en autonomie sans ou avec peu de perte), dépend de :

  • la population apprenante elle-même et de ses caractéristiques cognitives

  • la "quantité d'autonomie" du dispositif, c'est à dire la quantité et qualité des mécanismes de régulation maintenus dans le dispositif

  • la "qualité" du dispositif, c'est à dire la qualité des ressources fournies (et en particulier des supports)

Augmenter la part de la population autonome  :

  • Apprendre à apprendre

    La mise en place de formations spécifiques à l'apprentissage en autonomie (s'organiser, s'évaluer, lire, apprendre, comprendre...) est un moyen de décaler les seuils P1 et P2 et donc de favoriser les dispositifs d'apprentissage parallèle sans perte ; voire, dans certains cas propices, de préparer la mutation vers des dispositifs exclusivement en autonomie.

  • Apprentissage en autonomie partielle

    Des solutions intermédiaires consiste à jouer sur le taux d'autonomie, c'est à dire à maintenir une organisation allégée au sein de la formation et/ou ne passer en autonomie que certaines parties de la formation.

  • Investir dans les supports

    Cette solution consiste à améliorer la qualité des supports en investissant sur leur développement. C'est le pari des Mooc.

Critique économique de l'apprentissage en autonomie

Investir dans les supports

La mise en place d'un apprentissage en autonomie implique la mise à disposition de supports pédagogiques plus qualitatifs que dans le cas d'un enseignement classique, et demande donc un investissement dans ce domaine.

Cet investissement doit être amorti, ce qui conditionne la rentabilité de l'apprentissage en autonomie au nombre d'étudiants qui le suivent. Il existe en particulier des cas idéaux qui permettent de mettre en place des dispositifs permettant de faire des économies sans perte pédagogique.

Une stratégie générale consiste à cibler les formations disposant d'effectifs importants et/ou pour lesquelles ces effectifs peuvent être augmentés, justement grâce à l'ouverture que permet l'apprentissage en autonomie.

Passage d'une logique de flux à une logique de stock

Dans le cas de l'enseignement classique, la référence est l'enseignant qui délivre le contenu, le support est un complément secondaire. Tandis que dans le cas de l'apprentissage en autonomie, le support également doit être autonome, c'est à dire supporter le contenu sans le secours du commentaire de l'enseignant.

On passe d'une logique du contenu comme flux délivré par l'enseignant, à une logique de contenu comme stock mis à disposition de l'apprenant. Cela implique :

  • un investissement initial dédié pour produire ou améliorer les supports (s'amortissant sur plusieurs sessions de formation) ;

  • ainsi qu'un effort de maintenance des supports supérieur à celui fourni dans le cas de l'enseignement classique.

Conséquemment l'apprentissage en autonomie implique des coûts fixes supérieurs (investissement indépendant du nombre d'étudiants) et des coûts variables inférieurs (fonctionnement en fonction du nombre d'étudiants).

Il existe un seuil de rentabilité économique N0 (nombre d'étudiant minimum) à partir duquel le dispositif d'apprentissage en autonomie est moins coûteux qu'un dispositif classique.

Analyse du rapport entre coûts et nombres d'étudiants

Cas idéaux : sans perte pédagogique et avec gain économique

Soit N1 le nombre d'étudiants correspondant à la part de population autonome (P1), si N1 > N0 alors il est possible de mettre en place un apprentissage en autonomie sans perte pédagogique et avec un gain économique.

Ces cas idéaux peuvent être systématiquement recherchés - et en priorité - car ils n'apportent que des avantages.

Remarque : Maîtriser les paramètres

On notera que :

  • l'équation est complexe à résoudre car P1, donc N1, augmente avec la qualité des supports (donc en augmentant C0) et avec la quantité d'organisation (donc en augmentant la pente de la courbe), deux paramètres qui font également augmenter N0 ;

  • la question de l'amortissement de l'investissement (donc du nombre d'étudiants qui seront concernés dans le temps) est fondamentale pour fixer correctement C0.

Privilégier les formations à effectifs important et augmenter les effectifs en ouvrant les formations

Plus une formation implique des effectifs importants et plus N1 est plus grand pour un même P1. Donc les formations à effectif important sont de meilleurs candidats a priori, toutes choses égales par ailleurs.

Par ailleurs, le nombre d'étudiants peut être augmenté en profitant de la souplesse apportée par le dispositif (ouverture à de nouveaux publics). Les formations susceptibles d'intéresser ces publics (formation continue, formation citoyenne) sont alors à privilégier.

Il faut bien entendu être en capacité d'augmenter le corps enseignant en proportion pour suivre cette croissance.

Critique sociétale de l'apprentissage en autonomie

Au delà des a priori, compléter et diversifier les formations

L'apprentissage en autonomie favorise l'étude personnelle plutôt que les échanges avec les enseignants. Mais nous défendons qu'il peut constituer une variation sur le thème de l'apprentissage plutôt qu'une dégradation. L'apprentissage en autonomie est probablement aussi déshumanisant pour certains que l'enseignement classique est asservissant pour d'autres.

La solution consistant à permettre un choix est alors meilleure que celle consistant à ne maintenir que la possibilité de l'un ou de l'autre.

Nous précisons que :

  • il est utile de promouvoir des modalités de travail en groupe, qui sortent l'apprenant de sa solitude potentielle ;

  • l'apprentissage en autonomie permet d'élargir le spectre de la population apprenante, ouvrant davantage l'école sur la société ;

  • et qu'il conduit à diversifier les métiers de l'enseignant, en redonnant de la valeur à la production de ressources face au poids de la transmission magistrale.

L'apprentissage en autonomie, déshumanisant ou libérateur ?

Une objection couramment rencontrée est que l'apprentissage en autonomie serait moins "humain" puisque les apprenants y rencontrent moins les enseignants. Mais c'est sans compter l'avis des apprenants qui vivent la classe, ses rythmes et ses codes comme une contrainte improductive. Le discours relayé par les promoteurs des Mooc montre l'enseignement classique comme favorisant la passivité, la standardisation, l'arbitraire ou la perte de temps (Khan, 2013)[3].

Si ces discours sont bien entendu ceux des champions de l'autodidaxie, qu'ils avancent masqués ou à visage découvert, ils ne méritent ni d'être sacralisés, ni d'être ignorés. Ils sont le reflet des caractéristiques d'une partie de la population apprenante. D'où l'enjeu de proposer plusieurs offres en parallèle.

L'apprentissage en autonomie, solitaire ou en groupe ?

Une seconde objection est que l'apprentissage en autonomie impliquerait l'étude solitaire. Or il est tout à fait possible de favoriser les travaux en groupe, en misant sur les échanges de pairs à pairs (entre apprenants suivant le même apprentissage autonome typiquement). Des synergies peuvent être facilement encouragées : espace-temps dédiés au travail de groupe, exercices à faire en groupe...

Cette fois encore, l'enseignement classique n'est pas nécessairement mieux loti a priori, au sens où, s'il met bien les apprenants ensemble, il n'encourage pas nécessairement le travail de groupe. Mais convenons que c'est une tendance plus naturelle lorsque les apprenants se rencontrent régulièrement, et que les dispositifs d'apprentissage en autonomie doivent mieux surveiller ce paramètre.

L'apprentissage en autonomie, élitiste ou ouvert ?

Parce qu'il cible la partie de la population apprenante la plus autodidacte - dont on peut par ailleurs penser que c'est la part la plus à l'aise scolairement - l'apprentissage en autonomie est a priori une forme plus élitiste de formation.

D'un autre point de vue, l'offre d'un apprentissage en autonomie est aussi ce qui permet d'élargir et de diversifier la population apprenante à des citoyens hors de l'école et du statut d'étudiant. C'est en cela une forme d'exotérisme[4] - d'ouverture de l'école au monde - et donc de mouvement opposé à l'élitisme.

L'apprentissage en autonomie, la fin des enseignants ?

S'il est vrai que son temps de présence en situation de transmission devant les apprenants diminue dans ce contexte, l'apprentissage en autonomie n'est pas la fin de l'enseignant. D'une part celui-ci reste totalement présent dans les actes de prescription et de certification (conception et évaluation des formations). D'autre part la portion de temps de suivi présentiel abandonnée est transférée sur un temps de production de supports pédagogiques.

De la même façon que les apprenants, selon leur profil, préféreront telle ou telle modalité, certains enseignants apprécieront de diversifier leur métier, dans un contexte ou l'apprentissage en autonomie ne remplace pas, mais vient compléter, l'enseignement classique.

Conclusion : Quelques situations pour mettre en place l'apprentissage en autonomie

Étude de situations exemplaires

Nous proposons dans cette dernière partie de reprendre ce qui a déjà été exposé ci-avant, sous un angle de vue plus applicatif, correspondant à des possibilités typiques de ce que peut mettre en place un établissement d'enseignement supérieur "du jour au lendemain", sans refonte organisationnelle majeure.

  • Apprentissage en autonomie en parallèle des enseignements traditionnels

    • pour faire des économies et gérer la disponibilité enseignante

    • pour gérer la semestrialisation et une offre de cours diversifiée

  • Apprentissage en autonomie exclusif

    • pour ouvrir la formation à d'autres parcours de l'institution

    • pour proposer des cours complémentaires, hors parcours, aux étudiants

    • pour la formation continue et citoyenne

En parallèle des enseignements traditionnels pour faire des économies et gérer la disponibilité enseignante

Les cas idéaux avec gain économique et sans perte pédagogique constituent des situations de mise en place privilégiées d’apprentissage en autonomie parallèle. Ces cas auront notamment les caractéristiques suivantes :

  • effectif important (pour rentabiliser les investissements dans les supports) ;

  • potentiel de développement de l'effectif ;

  • supports pédagogiques existants déjà bien développés (pour limiter l'investissement) ;

  • appétence de l'équipe enseignante pour développer les supports ;

  • pression économico-organisationnelle pré-existante sur l'équipe enseignante (manque de ressources humaines, besoin de libérer de l'énergie pour développer d'autres axes pédagogiques...).

La mise en place de solution sans perte n'entraîne que des économies marginales et ne concerne qu'une partie des enseignements. Mais même une économie de l'ordre de quelques pour-cent est appréciable dans le contexte économique actuel (avec une dérivée positive grâce à l'amortissement des investissements).

Ces cas ont de plus des effets positifs induits :

  • ils améliorent les enseignements classiques existants par l'amélioration des supports dont profitent néanmoins les étudiants qui ne choisissent pas l'apprentissage en autonomie ;

  • ils ouvrent la voie à d'autres usages sur la même matière (élargissement) et à la mise en place de l'apprentissage en autonomie dans d'autres matières (exemplarité).

La question de la présence obligatoire dans les enseignements classiques en parallèle

L'offre d'une solution en autonomie, peut conduire à rendre obligatoire la présence des étudiants ayant choisi l'enseignement classique. S'il est normal de continuer d'offrir aux étudiants qui le souhaitent un tel dispositif, il est également normal d'exiger d'eux qu'ils l'utilisent. Cette solution permet d'optimiser les moyens de l’enseignement classique.

Mutualiser les cours pour différents parcours de l'institution

Il existe généralement au sein d'une même école plusieurs parcours partageant des enseignements similaires (même objectif pédagogique), voire identiques (même prescription, même organisation, même évaluation). L'enseignement des bases de données à l'UTC par exemple concerne le parcours ingénieur classique, mais également le parcours ingénieur en alternance, le parcours Humanités et Technologie et certaines mentions du Master. L'ouverture d'apprentissages en autonomie permet à des parcours d'intégrer des enseignements qu'ils avaient exclus ou dédoublés pour des raisons organisationnelles (emploi du temps, stages, présence en entreprise).

Deux volets sont à surveiller dans ces cas :

  • le transfert des moyens économiques des parcours concernés pour réalimenter les équipes qui assument l'apprentissage en autonomie ;

  • l'information des étudiants quand aux exigences de l'apprentissage en autonomie et la surveillance des taux d'échec (ces étudiants n'ayant plus que le choix de ne pas suivre le cours).

Gérer la semestrialisation

La semestrialisation et la modularisation, qui se sont généralisés dans l'enseignement supérieur, conduisent à ce que la plupart des enseignements ne sont délivrés qu'un semestre sur deux, ce qui correspond normalement au moment où la majorité des étudiant ont besoin de le suivre. Mais il y a toujours une part de la population que ses choix ou ses contraintes amènent à ne pas pouvoir suivre tel ou tel cours.

L'apprentissage en autonomie peut donc être proposé en mode parallèle lors d'un semestre et en mode exclusif sur l'autre semestre, pour augmenter la souplesse d'une part, et l'effectif et donc la rentabilisation des investissements d'autre part. Il est à noter qu'il y a un surcoût organisationnel à ouvrir une nouvelle session (gestion, écriture d'examen...) qui conduit donc à se poser la question de la rentabilité marginale de cette seconde ouverture.

Développer ou maintenir une offre de cours diversifiée

La composition de parcours idiosyncratiques par les étudiants (l'adage veut qu'à l'UTC il n'existe pas deux étudiants ayant suivi exactement les mêmes enseignements, a fortiori dans le même ordre) entraîne une complexité dans la gestion des emplois du temps. Or la réduction de cette complexité nécessite des heuristiques qui engendrent des incompatibilités entre enseignements, qui conduisent à réduire les choix possibles en pratique. On observe donc un phénomène tout à fait contre-productif : la croissance de la diversité de l'offre peut engendrer une baisse des possibilités réelles de choix.

La mise en place de l'apprentissage en autonomie peut contribuer à maintenir une offre large - voire à élargir une offre - en diminuant les contraintes sur les emplois du temps.

Proposer des cours supplémentaires et assurer les fondamentaux

Il existe certains cas où des étudiants ne suivent pas un cours dans le cadre de leur formation, mais en ont besoin - souvent de façon partielle - comme pré-requis à un autre cours, pour préparer un stage, pour alimenter un atelier projet...

Il existe également des cas, effet pervers du choix, où des étudiants suivent une formation en étant passés à côté de certains fondamentaux. Une école qui laisse le choix des parcours aux étudiants peut néanmoins leur fournir des référentiels indiquant les connaissances et compétences indispensables, étant entendu qu'ils peuvent les acquérir par différentes voies : enseignement classique, stage, expériences antérieures à la formation, autodidaxie...

L'apprentissage en autonomie est alors une solution complémentaire qui améliore la qualité globale de la formation, en permettant aux étudiants de se former hors parcours.

Dans la mesure où ces cours complémentaires n'apportent pas de crédits à l'étudiant, ils sont "en plus", et donc constitue une charge économique complémentaire.

Développer les formations continue et citoyenne

L'existence d'un apprentissage en autonomie permet à des personnes qui travaillent de suivre les cours de l'école moyennant des aménagements moins contraignants de leur emploi du temps que l'inscription à un cursus classique. Il peut s'agir de cours isolés ou de la poursuite d'un parcours diplômant complet.

Cette possibilité ouvre des perspectives de financement supplémentaires pour l'école en proposant une offre de formation orientée vers les entreprises, tout en étant mutualisée avec ses enseignements existants.

Il est également envisageable, moyennant des financements publics complémentaires, d'ouvrir des parcours aux citoyens, dans des perspectives de type université ouverte, université de tous les savoirs, Mooc...