Notion de redocumentarisation, les transformations documentaires du numérique
Le numérique conduit à une nouvelle documentarisation, une redocumentarisation, qui est à la fois une sur-documentarisation et une dé-documentarisation, c'est à dire :
une production exponentielle de ressources numériques,
qui ne sont plus vraiment des documents, coupées de leur permanence par le calcul et dont les propriétés éditoriales sont relâchées par leur vulgarisation.
Le rôle joué par le numérique dans nos pratiques documentaires s'est essentiellement cantonné jusqu'au début des années 2000 à prolonger la documentarisation de la société, par les moyens de massifier et d'organiser la production documentaire. Mais la tendance du numérique conduit à une réinvention de nos modes d'écriture, que l'on nomme redocumentarisation.
Tout comme l'écriture ne s'est pas limitée à être une transcription de l'oral, l'écriture numérique ne s'arrête pas à être une numérisation de l'écrit.
L'écrit n'est pas une transcription de l'oral
L'écriture n'est pas « qu'une "représentation" de la parole, comme le veut la tradition saussurienne (Goody 1979[1], avant-propos de Jean Bazin et Alban Bensa, traducteurs, p.8) »
, ce n'est qu'un des usages possibles de l'écriture (la transcription de l'oral), il y a des « pratiques par lesquelles l'écrit se libère de l'énoncé oral ou même se substitue à lui (Ibid. p.8) »
, il y a une « tradition écrite, indépendante de la parole, qui contribue à définir ce qu'est la langue »
; « Passer de l'oral à l'écrit, c'est [aussi] projeter dans un espace à deux dimensions (liste, tableau) [...] imposer ainsi certains types d'ordre qui n'ont pas nécessairement leur correspondant dans l'organisation du langage parlé. (Ibid. p.16) »
Seconde révolution documentaire et nouvelles formes de production documentaire
La seconde révolution documentaire naît avec le numérique et les transformations sociétales de la seconde moitié du vingtième siècle.
Le collectif Pédauque (2006, p.3) adopte le terme de postmoderne pour qualifier ces transformations de la société. Le document devenu numérique est fortement réinterrogé, dans sa nature intrinsèque ainsi que dans ses usages, le Web étant devenu depuis la fin des années quatre-vingt-dix le milieu prégnant de son évolution.
Définition : Redocumentarisation
Le terme de redocumentarisation peut être employé pour désigner la transformation d'un document non numérique afin qu'il puisse être traité par un système informatique : numérisation, description, modélisation... (Salaün, 2007). Il s'agit alors d'une informatisation du document, au sens de Bachimont (2007).
Définition : Redocumentarisation de la société
La redocumentarisation désigne surtout chez Pedauque (2006) la mutation documentaire survenue suite à l'avènement du numérique, elle est donc à entendre comme une seconde documentarisation sociétale concomitante de la post-modernité. On parlera de façon analogue de redocumentarisation de la société. Étant encore en construction cette redocumentarisation n'est pas précisément caractérisable aujourd'hui.
Remarque : Redocumentarisation au sens de rééditorialiser
Redocumentarisation est aussi utilisée dans une acception différente par Zacklad (2007, p.3) : « Redocumentariser, c'est documentariser à nouveau un document ou une collection en permettant à un bénéficiaire de réarticuler les contenus sémiotiques selon son interprétation et ses usages »
. Nous n'utiliserons pas le terme dans ce sens, pour lui préférer alors celui de rééditorialisation.
Première rupture : le document est calculé
Ce qu'on lit n'est plus ce qui a été écrit.
La première rupture fondamentale imposée par le numérique au document est la séparation entre la forme d'inscription, une ressource binaire sur un support d'enregistrement, et la forme de lecture, une manifestation sémiotique sur un dispositif de restitution, la seconde étant calculée à partir de la première par l'intermédiaire de l'exécution d'un programme.
Complément
«
« Autrement dit, un document numérique n'a pas de mémoire. Il est d'emblée falsifiable et possiblement falsifié. [...] « ça a été manipulé ». (Bachimont, 2007, p.34) »
»
« La manifestation la plus évidente du changement est donc la perte de la stabilité du document comme objet matériel et sa transformation en un processus construit à la demande, qui ébranle parfois la confiance que l'on mettait en lui. (Pédauque, 2003, p.2) »
Seconde rupture : le document est vulgarisé
Le numérique désacralise le concept de document tel qu'il a été fondé par la première révolution.
La seconde rupture est liée aux libérations de l'acte auctorial grâce aux machines à écrire que sont les terminaux numériques, et de l'acte éditorial grâce aux machines à publier que sont les réseaux.
Complément
Une part grandissante de nos pratiques conduit à la création et la consommation de productions numériques, que nous qualifions volontiers de documents même si elles respectent mal les propriétés identifiées au concept de document au vingtième siècle dans le cadre de l'imprimé.
« Nous emploierons le terme de « redocumentarisation », le préfixe « re- » suggérant à la fois un retour sur une documentarisation ancienne et une révolution documentaire. (Pédauque 2006, p4) »