Recherche technologique sur la plateformisation de la formation
Notion de plateformisation de la formation
Le néologisme de plateformisation désigne en premier lieu l'appropriation par des acteurs du Web de services précédemment existants entre fournisseurs et consommateurs.
On pourra citer typiquement des services de transport comme Uber (qui a donné le terme d'uberisation pouvant être considéré comme un synonyme de plateformisation), des services de logement comme Airbnb ou de place de marché (marketplace) comme celui d'Amazon.
Intermédiations
On parle d'intermédiations[1] dans la mesure où les sites web proposés constituent de nouveaux intermédiaires dans la relation commerciale entre producteurs et consommateurs de services.
Le terme est étendu au delà de cette première acceptation à l'intermédiation des échanges d'information. C'est typiquement le domaine de l'accès aux médias (presse, vidéos...) via les hébergeurs contributifs (Youtube), les moteurs de recherche (Google Search) ou les réseaux sociaux (Facebook).
Une troisième extension peut encore élargir le terme pour inclure la mise en plate-forme d'informations produites directement pour celles-ci (Facebook, Wikipédia, Wordpress.com). La porosité des usages (Youtube) conduit à ce troisième élargissement.
Ces services se caractérisent typiquement par :
une gestion en ligne exploitant les possibilités d'Internet de casser les frontières (spatiales, temporelles, d'usage)
une transformation des intermédiations[1] (là où le Web était la promesse de l'échange direct, désintermédié)
un intérêt majeur pour les données (pour la personnalisation des services, la vente de publicité, et/ou la revente des données elles-mêmes)
une logique de substitution (aux formes traditionnelles d'échange)
une centralisation monopolistique (Facebook veut être le web) ou oligopolistique (notamment car la quantité d'utilisateurs est un enjeu direct dans la qualité du service rendu)
un discours d'innovation et de confort (le service plateformisé est plus facile d'accès que le service traditionnel) voire de dénigrement du système antérieur
une logique de gratuité (frais de port chez Amazon) ou de réduction des prix (offre Netflix), souvent combiné avec une perte de revenu des fournisseurs de service (taxis Uber, vendeurs sur la Marketplace Amazon), une collecte des données par la plate-forme (dont la valorisation n'est pas mise en avant), voire une vente à perte (avec pour objectif la maîtrise du marché à terme).
un système de valeur fondé sur la notation et la notoriété (avis, classements...)
La plateformisation s'organise principalement autour de quelques acteurs dominants pour chaque secteur (Netflix, Spotify, Airbnb, Cdiscount, Alibaba...) avec la récurrence de quelques géants (Google, Amazon, Apple).
Néanmoins des acteurs alternatifs se positionnent sur le terrain de la plateformisation pour entretenir des modèles et valeurs différents. On pourra citer par exemple l'initiative de l'association Framasoft qui propose des services financés par le don, Label Emmaüs qui propose une place de marché aux boutiques Emmaüs (et à d'autres acteurs de l'ESS) ou encore la fondation Wikipédia.
De l'intermédiation au commerce des données
« [...] à l'intermédiation commerciale (générant une rémunération qui prend dans la plupart des cas la forme d'une commission sur les transactions) s'ajoute généralement une autre fin économique. Celle-ci est originellement fonction de l'activité de base du gestionnaire de la plate-forme, mais on s'oriente vers la généralisation des ventes de produits liés (par exemple des terminaux ou des services complémentaires) et – surtout – vers la valorisation systématique de données provenant des activités des membres de chaque versant. »
La tendance monopolistique est-elle une conséquence structurelle du modes de financement des plate-formes ?
« Avec des résultats d'environ 3 milliards de dollars, Amazon pourrait valoir dans un modèle économique traditionnel entre 40 et 90 milliards de dollars selon ses perspectives de croissance. Mais Amazon vaut plus de 800 milliards de dollars, soit environ 270 fois ses résultats : l'ordre de grandeur n'est simplement pas le même. Cela lui donne les moyens de conquérir tous azimuts des marchés aussi différents que le commerce en ligne tous produits confondus, le cloud, les services financiers grand public, la culture ou les droits de retransmission du football. »
[...]
« Pour que ce cours soit justifié, il faudra que les marges de l'entreprise soient un jour multipliées par 10 ou 15, ce qui ne sera possible que si Amazon est capable d'augmenter ses prix en organisant un monopole sur les marchés qui sont les siens. Seule la perspective monopolistique permet de justifier de tels cours de bourse. »
[...]
« Il s'agit moins d'une cavalerie financière que du pari que, si on leur en donne les moyens financiers, ces entreprises seront en mesure d'établir une domination monopolistique mondiale. »
Si le secteur de la formation n'est pas (encore) bouleversé par ce phénomène, certains acteurs y sont déjà durablement positionnés. Ils proposent des MOOC qui vont du cours ponctuel à la formation diplômante. En France (et en français) on pourra citer FUN (un acteur public), OpenClassrooms (un acteur privé) et Coursera (un acteur étasunien).
L'objet de cet article sera de proposer une piste de recherche technologique permettant de « faire pour comprendre », c'est à dire de contribuer à ce mouvement, avec le double objectif de chercher à le cerner et de chercher à l'influencer pour tester nos propres hypothèses.
Enjeu de savoir : projet de recherche technologique
La thèse TAC (Steiner, 2010[4]) pose que la technique façonne l'homme autant qu'il façonne la technique. En conséquence le déplacement de la formation de son environnement matériel actuel (école, salle, écrit...) vers un autre (distance, individu, vidéo...) est un phénomène fondamental qui modifie en profondeur la relation de l'homme au savoir.
Faire pour comprendre
Plateformiser la formation n'est pas « juste changer d'outil », c'est instaurer un nouveau rapport au savoir et à la pédagogie et modifier les structures humaines qui s'en chargent actuellement. La plateformisation en cours d'autres domaines (transport, vacances, administration...) permet d'observer le type de perturbations introduites.
La posture d'une recherche technologique est d'étudier en faisant : le projet Librecours s'inscrit dans cette perspective.
Enjeu de pouvoir : projet de contribution libre et décentralisé
Si la plateformisation n'est pas encore au cœur des préoccupation du secteur de la formation, il est nécessaire de s'en préoccuper maintenant, en particulier pour les acteurs académiques, afin d'en être partie prenante et de pas subir le mouvement d'ici quelques années.
Les écoles traditionnelles devraient s'approprier les plates-formes d'enseignement, au risque de perdre une partie significative de leur pouvoir au profit d'intermédiaires. L'environnement technique de la pédagogie est constitutif de la pédagogie, les acteurs académiques peuvent en être partie prenante et ne pas se contenter de subir le mouvement.
Complément
Si le secteur, en particulier en France, est préservé c'est en particulier en raison du contrôle du droit de diplômer et de l'importance que celui-ci revêt dans les processus de recrutement, et en raison de la puissance du financement public (et donc de la quasi-gratuité de nombreuses formations pour les utilisateurs du service).
librecours.net
Librecours est une application de nouveaux maillons de la chaîne éditoriale Scenari développée par la société Kelis depuis la fin de l'année 2017.
Librecours a été utilisé ce semestre dans deux contextes à l'UTC : pour le support d'un cours de base de données et dans le cadre de la formation dite "Semaine SU".
Complément
Cours de base de données en autonomie (NA17) : les étudiants sont inscrits à un cours classique de l'UTC, mais à la place des cours et TD, ils disposent de modules à travailler à distance, de devoirs à rendre, de projets... Cette formule fonctionne depuis février 2014 et a vu passer environ 300 étudiants.
Semaine SU à l'UTC : des étudiants volontaires ont pu choisir une activité pédagogique dans le cadre d'une semaine "banalisée" (sans les cours habituels). 12 étudiants se sont inscrits pour un cours d'initiation aux bases de données (2 crédits ECTS) sur 5 jours à temps plein.
Première hypothèse : faire travailler
La première piste que nous étudions consiste à chercher comment ouvrir la formation (au sens des MOOC, c’est à dire de la faire sortir des murs et modalités de l’école) tout en maintenant la même exigence pédagogique que dans les murs. Ceci implique de maintenir un niveau d’évaluation équivalent et de trouver de nouvelles modalités pour faire travailler (Prairat, 2016[5]).
Seconde hypothèse : décentraliser
La seconde piste consiste à voir comment les acquis de l’ingénierie documentaire peuvent être mis à profit, en particulier pour permettre la conception d’environnement spécialisés et décentralisés permettant à chaque organisation de concevoir ses propres modèles pédagogiques et d’héberger ses propres formations (alors que la plupart des MOOC tendent au contraire à la centralisation informatique et la standardisation pédagogique, comme les autres mouvements dominants de plateformisation).