Définition de la low-technicisation

Low-technicisation

La low-technicisation est un processus consistant à rediriger l'invention et l'innovation pour négocier le spectre fonctionnel et la complexité technique des objets afin de créer des outils plus soutenables et plus conviviaux.

Low-technicisation et numérique

  • La low-technicisation du numérique : re-concevoir les applications informatiques elles-mêmes afin de produire des outils informatiques plus soutenables et plus conviviaux.

  • La low-technicisation par le numérique : re-concevoir des applications informatiques en vue d'accompagner la production d'objets ou de services (numériques ou non) plus soutenables et plus conviviaux.

Crédits

Section réalisée à partir de la présentation de Hugues Choplin, « Un ingénieur low-tech est-il possible ? (lownum.fr, 2022) ; les variations n'engagent que moi.

Questionner la création technique high-tech

« Penser l’écologie, c’est (...) nécessairement penser la technique »

(D. Bourg et A. Fragnière, 2014)

On propose de définir ainsi le processus de création moderne (high-tech) :

  • il repose sur les notions d'invention et d'innovation

  • il repose sur les idées (voir les idéaux) de progrès et de croissance

Définition : Invention

L'invention

  • a pour objet la production de nouveaux possibles techniques par la maîtrise des phénomènes naturels,

  • elle est associée à l'idée de progrès

  • elle tend à une domination de la nature par l'humain via la technique.

Nouvelles prises des humains sur la nature via la technique

On peut définir formellement via le droit une invention comme quelque chose qui peut-être protégé par un brevet.

  • « être une solution technique à un problème technique »

  • « comporter un caractère novateur »

  • « impliquer une activité inventive »

  • « être susceptible d’application industrielle. »

https://www.economie.gouv.fr/entreprises/depot-brevet-inpi

Définition : Progrès

« Ce mot, qui signifie "marche en avant", désigne de façon toute spéciale, dans le langage philosophique, la marche du genre humain vers la perfection, vers son bonheur. (…) L'humanité est perfectible et elle va incessamment du moins bien au mieux, de l'ignorance à la science, de la barbarie à la civilisation. »

Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1866-1876)

  • Héritage des lumières et du positivisme d'Auguste Comte

  • Association, voire assimilation

    1. du bonheur et du progrès,

    2. et du progrès et de la science.

Définition : Innovation

L'innovation

  • a pour objet la production de nouveaux modes de vie par le développement de l'usage d'objets techniques,

  • elle est associée à l'idée de croissance,

  • elle tend à une aliénation de l'humain par la technique.

Nouvelles prises des humains sur les humains via la technique

  • Ingénierie : exploitation de nouvelles idées (donc des inventions) pour en faire des biens et des services commercialisables

  • Philosophie : élan vital (Bergson) ; volonté de puissance (Nietzsche)

  • Économie : figure de l'entrepreneur (Schumpeter)

Définition : Croissance

« La croissance économique désigne la variation positive de la production de biens et de services dans une économie sur une période donnée, généralement une longue période. En pratique, l'indicateur le plus utilisé pour la mesurer est le produit intérieur brut (PIB). »

Wikipédia

Est associé à la croyance l'idée que l'augmentation de la consommation d'objets est un indicateur de bonheur.

Définitions de la low-tech : négocier les fonctions et la complexité de la technique

Aliénation de l'homme et domination de la nature

Deux critiques à la fois solidaires et (presque) contradictoires.

  1. critique de la technique comme instrument de domination par l’homme de la nature (M. Heidegger, 1953)

  2. critique de la technique comme système autonome aliénant l’homme (J. Ellul, 1989)

Lutter contre ces deux tendances

  • redonner du pouvoir aux humains sur la technique

  • rendre les objets plus durables donc redonner de l'importance à la nature sur la technique et sur les humains

Définition : low-tech (Low-tech Lab)

  1. durables

  2. utiles

  3. accessibles

(cf. Low-tech Lab)

« les low-techs ont comme caractéristique d’être appropriables à l’échelle locale et individuelle [« accessibles »], d’être sobres en ressources et en énergie [« durables »] (...), accompagnant une réforme plus large des modes de vie [« utiles »]. »

« une voiture high-tech écologique (...) serait électrique, avec batteries rechargeables, reliée à une centrale nucléaire pour permettre aux populations aisées d’aller en week-end à Deauville ; une voiture low-tech serait de son côté bridée à 90 km/h, composée d’éléments facilement réparables et remplaçables, consommant le minimum possible, pour cela d’un poids réduit (...), en système d’auto-partage convivial (...) dans un monde où les flux et les mobilités seraient réduits. » (C. Abrassart et al., 2020)

Risques de la pensée low-tech

1. défendre un anthropocentrisme naïf : peut-on être à la fois écologiste (non anthropocentré) et humaniste ?

2. promouvoir une Nature sacrée (cf. le mythe de la « nature sauvage », W. Cronon, 1995)

Exigences de la pensée low-tech

1. ni instrument neutre, ni système autonome inhumain : penser le mélange homme/technique (B. Latour, 1990)

2. accepter la pensée complexe

État de l'Art

Cf Ademe (TODO)

Terminologies alternatives proposées

  • Basse-technologie

  • Technologies modestes

Rediriger les processus d'invention et d'innovation vers la soutenabilité et la convivialité

  • Redonner du pouvoir aux humains et de la place à la nature.

  • Favoriser des innovations et inventions qui servent la redirection écologique.

Définition : Redirection écologique

(Monnin)

« La redirection écologique est un cadre, à la fois conceptuel et opérationnel, destiné à faire tenir les organisations publiques et privées, ainsi que les infrastructures et instruments de gestion qui les soutiennent dans les limites planétaires. Il s’inspire du concept de « redirection » de Tony Fry, chercheur et designer australien. La redirection a pour ambition de clarifier l’adresse stratégique, les prises techniques et méthodologiques ainsi que les processus politiques et démocratiques permettant de mettre en place une transformation écologique de nos modes de subsistance. »

https://www.horizonspublics.fr/environnement/quest-ce-que-la-redirection-ecologique

Définition : Soutenabilité

  • hypothèse qu'il y a un problème (non soutenabilité)

  • ensemble des critères environnementaux permettant de l'évaluer (cf TBC / GIEC / Ademe)

Pour l’air, on retient cinq indicateurs :

  • contribution à l’effet de serre ;

  • acidification de l’air ;

  • formation d’ozone troposphérique ;

  • appauvrissement de la couche d’ozone ;

  • particules et effets respiratoires des substances inorganiques.

Pour l’eau, on en retient quatre :

  • eutrophisation des eaux douces ;

  • écotoxicité aquatique ;

  • eutrophisation des eaux marines ;

  • consommation d’eau (indicateur de flux).

Pour les ressources des sols et la santé humaine, on utilise les quatre indicateurs suivants :

  • consommation d’énergie primaire (indicateur de flux) ;

  • épuisement des ressources non renouvelables ;

  • toxicité humaine ;

  • occupation des sols.

https://expertises.ademe.fr/economie-circulaire/consommer-autrement/elements-contexte/impacts-environnementaux

Définition : Convivialité

« Une société conviviale est une société qui donne à l’homme la possibilité d’exercer l’action la plus autonome et la plus créative, à l’aide d’outils moins contrôlables par autrui. »

« L’outil est convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des fins qu’il détermine lui-même. »

« L’outil juste répond à trois exigences : il est générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle, il ne suscite ni esclaves ni maîtres, il élargit le rayon d’action personnel. »

« Une société équipée du roulement à billes et qui irait au rythme de l’homme serait incomparablement plus efficace que toutes les sociétés rugueuses du passé, et incomparablement plus autonome que toutes les sociétés programmées du présent ».

(Illich, 1973[1])

Pari de la redirection du rapport à l'invention et à l'innovation

  • produire des objets plus durables...

  • remettre en cause les modes de vie mal soutenables...

Exemple de mode de pensée moderne auxquels la low-technicisation s'oppose

« “Si mon produit est acheté, c’est qu’il est utile et qu’il a donc le droit d’exister” »

« Ici, l’argument qui nous a été opposé est donc le suivant : en tant qu’entrepreneur, je réponds à un besoin. La preuve, mon produit est acheté par des clients donc cela suffit à valider son existence. »

https://www.sinonvirgule.fr

  • L'innovation n'est pas uniquement un processus économique, mais est soumise à des orientations politiques (collectives).

Tensions

Tension transition versus redirection

  • La low-technicisation reste pleinement installée dans le champ du technique...

  • et elle travaille avec les mêmes concepts d'innovation et d'invention.

Tension augmentation versus réduction pouvoir humain

  • La low-technicisation vise à redonner du pouvoir à l'humain (sur la technique)...

  • et à lui retirer du pouvoir (sur la nature).

Problématique et hypothèses

Est-il possible d'articuler des approches orientées low-technicisation avec les métiers de l'ingénierie ?

Complément

On prendra ici une définition large de l'ingénieur comme toute personne dont le métier est de concevoir et/ou réaliser des objets et services :

  • L'ingénieur est en prise avec la technique.

  • L'ingénieur est en prise avec l'industrie

  • C'est une activité professionnelle.

Hypothèses

  1. Complémentarité high-tech et low-technicisation :

    on ne devrait pas miser exclusivement sur les high-tech pour résoudre les problèmes environnementaux.

  2. Réflexivité sur la technique :

    • L'humain est un être technique, les techniques agissent sur lui ;

    • l'humain peut agir sur la direction technique, des choix individuels et collectifs sont possibles.

Hypothèse de complémentarité

  1. L'ingénieur contemporain est « orienté high-tech » ; une approche de low-technicisation est complémentaire (et nécessaire pour équilibrer la balance).

  2. Les démarches d'ingénierie soutenable dominantes sont plutôt orientées quantification et optimisation, surtout a posteriori (ex : ACV), une approche de low-technicisation sera orientée évaluation qualitative et a priori ; il y a à nouveau complémentarité.

Complémentaire est ici à entendre au sens de :

  • les approches traditionnelles et la low-technicisation s'ajoutent pour forger un ingénieur plus polyvalent dans ses approches, un ingénieur qui compose ;

  • et/ou les approches se confrontent pour forger un ingénieur capable de se positionner sur différentes trajectoires socio-techniques, un ingénieur qui choisit.

Hypothèse de réflexivité

L'ingénieur doit intégrer une dimension réflexive sur la technique (techno-logique au sens de Costech) pour gérer cette complémentarité/confrontation et s'inscrire dans la co-constitutivité humain-technique (cf thèse TAC).

Cette posture s'oppose à deux déterminismes :

  1. Déterminisme humain (la technique est neutre, donc penser la question technique n'est pas essentiel)

    • Déterminisme de l'ingénierie : Celui qui construit les objets décide (l'ingénieur démiurge fabrique le monde technique selon sa volonté).

    • Déterminisme du social : Le politique et/ou le socio-économique (les utilisateurs, la demande, le besoin...) décide (l'ingénieur n'est qu'un rouage esclave de ces décisions).

  2. Déterminisme technique : l'évolution technique est autonome (donc on ne peut rien faire).