Tu es plutôt Jistsi ou Zoom ? (ou BBB ou Discord...)
Ceci est la reproduction d'un long mail écrit au début du confinement dans le cadre d'une liste de partage avec mes collègues du département TSH de l'UTC.
À noter que depuis ce mail :
l'UTC a mis en place un serveur BigBlueBotton (BBB),
abandonné Cisco Webex,
puis finalement acheté des licences Zoom.
La majorité des personnels de l'UTC utilisent aujourd'hui Zoom.
TL;DR
Jitsi est hébergé à plein d'endroits, dont l'UTC :
On peut souvent se passer de vidéo :
L'écrit, c'est bien aussi.
Il y a plusieurs groupes d'acteurs sur le pont pour accompagner les usages en ce moment à l'UTC, n'hésitez pas à les contacter.
Si vous avez envie d'approfondir ces sujets, calmement, après la crise, je serai ravi de le faire avec vous.
La solution la plus simple pour faire de la vidéo-conférence sur un logiciel libre et décentralisé est en effet Jitsi.
Framasoft
C'est le logiciel utilisé par Framasoft sur https://framatalk.org et par Renater sur https://rendez-vous.renater.fr (depuis plusieurs années).
Framasoft et Renater ont rencontré des gros problèmes de charge en début de confinement, les services ont donc mal fonctionné.
Framasoft a augmenté sa puissance serveur et a optimisé ses installations et framatalk.org est à nouveau annoncé en bonne santé (je n'ai pas refait de test à titre personnel, j'ai plutôt mis de côté la vidéo, j'en reparlerai en fin de mail).
En revanche Framasoft demande aux profs de ne pas utiliser ce service pendant la crise partant du principe d'une part que l'état a les moyens de faire un travail qu'eux réalisent avec 3 ingénieurs et d'autre part que le grand public en a également besoin (Framasoft héberge 9 salariés avec un budget d'environ 500k€)
Framasoft recense plus d'une centaine d'autres instances ici : https://framatalk.org/accueil/fr/info
Par ailleurs le collectif CHATONS (hébergeurs de solutions libres) a lancé le portail : https://entraide.chatons.org
Scaleway
Scaleway (groupe Iliad), entreprise d'hébergement française (à l'instar d'OVH ou Gandi) a lancé : https://ensemble.scaleway.com
C'est un groupe d'instance Jitsi basé sur plusieurs machines ce qui permet de faire du "load balancing" (quand une machine est chargée, une autre prend le relais).
J'ai fait un test à une dizaine pendant une heure, c'était très qualitatif, aucune coupure, son et image de très bonne qualité, etc.
Cela montre donc que Jitsi bien installé sur des machines puissantes fonctionne bien sur un petit groupe.
Scaleway est donc une entreprise française, qui propose un service 100% gratuit, avec zéro collecte de données.
UTC
Une instance a également été installée par l'UTC au début du confinement, donc depuis 15 jours environ, à l'adresse : https://jitsi.utc.fr
Cette instance ne semble pas avoir donné satisfaction en terme de performance, probablement à cause d'un sous-dimensionnement du serveur, peut-être pour d'autres raisons techniques, et la DSI a finalement proposé la solution propriétaire Cisco Webex.
Il y a donc aujourd'hui une solution officielle proposée par l'UTC.
Zoom, Discord, Skype
Zoom, Discord ou Skype sont des entreprises étasuniennes qui systématisent la collecte de données afin, notamment, d'en faire le commerce et d'augmenter leur valeur financière. Bien entendu ces services fonctionnent très bien, ils ont derrière eux :
d'une part une expertise technique acquise financée par leur occupation du marché (quand on utilise Skype on renforce les moyens pour Skype de développer son logiciel)
d'autre part une capacité financière qui leur permet de mettre en place rapidement des infrastructures puissantes (on compte les moyens financiers en milliards)
des salariés compétents, intéressés notamment par ces entreprises performantes
Donc, des machines et humains.
Notons que cela ne pose pas une question morale, mais une question de dépendance.
La question que l'on pourra se poser, quand le calme sera revenu, est donc, comme le propose l'article de Mathéo and Ronteix (2020)[1], celle de notre sous développement numérique, qui à mon sens s'ancre par cette alternative surréaliste : un prof dans une université française doit-il utiliser les services d'entreprises étasuniennes multimilliardaires ou ceux de petites associations françaises ? (ce qui implique, en d'autres termes : pouvons nous survivre numériquement sans les États-Unis, ou la Chine ?)
À noter que le fait que l'alternative existe signifie que malgré des moyens comparativement microscopiques il est possible d'offrir des solutions crédibles (même si imparfaites et moins puissantes).
C'est la contribution fondamentale de Framasoft à ce débat, prouver que c'est possible. Quand on voit ce qu'il est possible de faire avec 3 ingénieurs par ci ou quelques étudiants par là, on imagine l'indépendance qu'il serait possible de retrouver si on y mettait plus de moyens. Bien sûr, chacun aura une responsabilité en tant que consommateurs de services, puis nous payons en usage (en licences, mais surtout en attention, en données...).
Demain cela aura du sens d'investir massivement sur quelque chose comme Jitsi ou BBB (aider au développement, se former à son administration, documenter...) pour faire en sorte d'avoir des solutions de travail à distance confortables, indépendantes des géants du web, et un savoir-faire local ancré.
À titre de comparaison, le monde du logiciel libre nous assure notre autonomie en terme de système d'exploitation, et si demain Microsoft ou Mac ne sont plus dispos en France, quelles qu'en soient les raisons, il sera toujours possible de faire fonctionner nos ordinateurs (c'est moins évident pour les ordiphones aujourd'hui, mais les choses avancent également sur ce volet, cf la fondation /e/ par exemple). Il existe des logiciels libres pour tous nos usages, on sait donc "continuer" sans logiciel propriétaire (de nombreuses personnes, dont je fais partie n'en utilise plus aucun depuis plusieurs années ; je ne dis pas que c'est bien, je dis que c'est possible).
En revanche en matière de Web, on n'est pas aussi prêt : moteur de recherche, réseau social, communication audio/vidéo...
Mais le terreau technique est là, et encore une fois, des acteurs Français comme les membres du CHATONS montrent que ce n'est pas une perspective si lointaine. Se sera donc un choix politico-économique de se positionner sur le développement de ces compétences et des choix de consommateur de les soutenir.
Note
Il existe d'autres solutions libres autour de la vidéo conférence comme BigBlueButton (et certainement encore d'autres, je ne suis pas du tout spécialiste de ces logiciels) ; le libre foisonne en général d'initiatives, et manque aussi souvent de porteurs et d'utilisateurs sur le moyen terme : on lui préfère un prêt-à-l-emploi que seules peuvent réaliser des entreprises puissantes économiquement (ou quand d'autres le réalisent, que ces entreprises rachètent).
Il y a de nombreux informaticiens en France aujourd'hui qui souhaiteraient travailler à cela, créer de la compétence locale, à taille humaine, mais qui ne savent pas où le faire.
Je n'utilise pas a priori la vidéoconf de mes cours (et en général, n'en gardant qu'un minimum pour ma famille proche) ; l'audio fait très bien le job de mon point de vue.
À noter que pour l'enseignement, j'ai en parallèle une longue tradition de cours rédigés et de faire travailler les étudiants en autonomie, cela modifie certainement ma perspective, je ne me pose pas en exemple, simplement je montre que l'alternative existe.
Picasoft héberge sur voice.picasoft.net le logiciel Mumble, un service audio qui fonctionne très bien. Il a plusieurs dizaines de cours qui l'utilisent et on est monté à 150 étudiants en simultané sur le serveur, dont 100 dans une même salle virtuelle, sans aucun souci.
Ce n'est pas joli (même pas web, il faut installer un petit quelque chose), pas toujours super bien pensé ergonomiquement (voire un peu fantasque...). Un membre de Picasoft a mis ça en place en 1/2 journée, d'autres ont ensuite bossé sur la doc et la communication environ autant, peut-être un peu plus... Bref c'est facile à faire et ça marche.
Et il est évident que si on avait investi dans le développement commun de ce logiciel 1/1000e de ce qui a été investi dans Skype on aurait aujourd'hui quelque chose de beaucoup plus grand public (et probablement plus puissant).
De nombreux acteurs à l'UTC (CAP, DSI, Picasoft, Rhizome, enseignants...) agissent, informent, forment, accompagnent... Cela produit des effets intéressants, mais cela met aussi en exergue l'état général de notre niveau sur ces sujets.
À mon sens c'est avant tout parce qu'on ne leur prête pas attention à ces outils et usages qui se sont pourtant déposés dans tous les interstices de nos pratiques personnelles et professionnelles. On n'a pas le temps, on n'a pas l'intérêt... on en parle parfois au café ou dans une réunion, parce que, tout de même... mais comme une discussion de café, justement, ensuite on l'oublie. On a des choses plus sérieuses à faire.
Il est aujourd'hui possible de reprendre assez radicalement la main sur ses pratiques numériques. Il n'est pas nécessaire d'avoir une formation informatique préalable. Il est en revanche nécessaire d'y consacrer du temps et de l'énergie, voire de renoncer à certaines formes de confort. Mais c'est peut être l'enjeu de la transition, que nous montre cette crise actuelle, revoir certaines de ses priorités, ce qui est sérieux et ce qui ne l'est pas.
Chacun est libre de ces choix, mais c'est possible, justement, c'est un choix, pas une fatalité. Peut être pas en ce moment où tout est plus compliqué, mais ceux qui le souhaitent pourront y repenser après. On peut le faire ensemble.
Juste une piste, pour après justement. Pour changer d'habitude, si on le souhaite, il suffit de décider de ne plus utiliser quelque chose. Si vous décidez de ne plus utiliser Skype, alors vous trouverez ce qui existe à la place, on fait autrement, et on s'en sort très bien.
Je finis donc, une fois encore, sur La Boétie : « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l'ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre. »